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LES ROUGON-MACQUART.

— Petite mère, emmène-moi, répétait Jeanne d’une voix de plus en plus basse et touchante.

— Je ne puis t’emmener, dit Hélène. Je vais quelque part où les enfants ne vont pas… Donne-moi mon chapeau.

Le visage de Jeanne avait blêmi. Ses yeux noircirent, sa voix devint brève. Elle demanda :

— Où vas-tu ?

La mère ne répondit pas, occupée à nouer les brides de son chapeau. L’enfant continuait :

— Tu sors toujours sans moi, à présent… Hier, tu es sortie ; aujourd’hui, tu es sortie ; et voilà que tu t’en vas encore. Moi, j’ai trop de peine, j’ai peur ici, toute seule… Oh ! je mourrai, si tu me laisses. Entends-tu, je mourrai, petite mère…

Puis, sanglotante, prise d’une crise de douleur et de rage, elle se cramponna à la jupe d’Hélène.

— Voyons, lâche-moi, sois raisonnable, je vais revenir, répétait celle-ci.

— Non, je ne veux pas… non, je ne veux pas… bégayait l’enfant. Oh ! tu ne m’aimes plus, sans cela tu m’emmènerais… Oh ! je sens bien que tu aimes mieux les autres… Emmène-moi, emmène-moi, ou je vais rester là par terre, tu me retrouveras par terre…

Et elle nouait ses petits bras autour des jambes de sa mère, elle pleurait dans les plis de sa robe, s’accrochant à elle, se faisant lourde pour l’empêcher d’avancer. Les aiguilles marchaient, il était trois heures moins dix. Alors, Hélène pensa que jamais elle n’arriverait assez tôt ; et, la tête perdue, elle repoussa Jeanne violemment, en criant :

— Quelle enfant insupportable ! C’est une vraie tyrannie !… Si tu pleures, tu auras affaire à moi !