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LES ROUGON-MACQUART.

— Oui, c’est vrai, j’ai froid, murmura-t-elle avec un frisson, malgré la grosse chaleur.

Ses pieds de neige étaient glacés. Alors, il voulut absolument les prendre dans ses mains. Ses mains brûlaient, elles les réchaufferaient tout de suite.

— Les sens-tu ? demandait-il. Tes pieds sont si petits que je puis les envelopper tout entiers.

Il les serrait dans ses doigts fiévreux. Les bouts roses passaient seulement. Elle haussait les talons, on entendait le léger frôlement des chevilles. Il ouvrait les mains, les regardait quelques secondes, si fins, si délicats, avec leur pouce un peu écarté. La tentation fut trop forte, il les baisa. Puis, comme elle tressaillait :

— Non, non, chauffe-toi… Quand tu auras chaud.

Tous deux avaient perdu la conscience du temps et des lieux. Ils éprouvaient la vague sensation d’être très-avant dans une longue nuit d’hiver. Ces bougies qui s’achevaient dans la moiteur ensommeillée de la pièce, leur faisaient croire qu’ils avaient dû veiller pendant des heures. Mais ils ne savaient plus où. Autour d’eux, un désert se déroulait ; pas un bruit, pas une voix humaine, l’impression d’une mer noire où soufflait une tempête. Ils étaient hors du monde, à mille lieues des terres. Et cet oubli des liens qui les attachaient aux êtres et aux choses, était si absolu, qu’il leur semblait naître là, à l’instant même, et devoir mourir là, tout à l’heure, lorsqu’ils se prendraient aux bras l’un de l’autre.

Même ils ne trouvaient plus de paroles. Les mots ne rendaient plus leurs sentiments. Peut-être s’étaient-ils connus ailleurs, mais cette ancienne rencontre n’importait pas. Seule, la minute présente