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UNE PAGE D’AMOUR.

le petit soldat et la cuisinière, attablés bien tranquillement, avaient tous les deux le nez dans leur assiette. Ils jouaient l’indifférence, ce n’étaient pas eux. Seulement, ils étaient très-rouges, leurs yeux luisaient comme des chandelles, des frétillements les faisaient sauter sur leurs chaises de paille. Rosalie se leva, se précipita.

— Madame désire quelque chose ?

Hélène n’avait pas préparé de prétexte. Elle venait pour les voir, pour causer, pour être avec du monde. Mais une honte la prit, elle n’osa pas dire qu’elle ne voulait rien.

— Vous avez de l’eau chaude ? demanda-t-elle enfin.

— Non, Madame, et mon feu s’éteignait… Oh ! ça n’empêche pas, je vais vous donner ça dans cinq minutes. Ça bout tout de suite.

Elle remit du charbon, posa la bouillotte. Puis, voyant que sa maîtresse restait là, sur le seuil :

— Dans cinq minutes, madame, je vous porte ça.

Alors, Hélène eut un geste vague.

— Je ne suis pas pressée, j’attendrai… Ne vous dérangez pas, ma fille ; mangez, mangez… Voilà un garçon qui va être obligé de rentrer à la caserne.

Rosalie consentit à se rasseoir. Zéphyrin, qui se tenait debout, salua militairement et coupa de nouveau sa viande, en élargissant les coudes, pour montrer qu’il savait se conduire. Quand ils mangeaient ainsi ensemble, après le dîner de Madame, ils ne tiraient même pas la table au milieu de la cuisine, ils préféraient se mettre côte à côte, le nez tourné vers la muraille. De cette façon, ils pouvaient se donner des coups de genou, se pincer, s’allonger des claques, sans perdre un morceau ; et, s’ils levaient les yeux, ils avaient la vue réjouissante des casseroles. Un bouquet