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UNE PAGE D’AMOUR.

mensonges, les souffrances, les tyrannies d’un sentiment toujours le même. Comme cela lui semblait bon de se retrouver libre ! Elle riait d’aise ; puis, elle sanglota de nouveau en suppliant son amie de ne pas la mépriser. Au fond de sa fièvre, il y avait de la peur, elle croyait que son mari savait tout. La veille, il était rentré agité. Elle accabla Hélène de questions. Alors, celle-ci, avec une audace et une facilité qui l’étonnaient elle-même, lui conta une histoire dont elle inventait les détails un à un, abondamment. Elle lui jura que son mari ne se doutait de rien. C’était elle qui, ayant tout appris et voulant la sauver, avait imaginé d’aller ainsi troubler le rendez-vous. Juliette l’écoutait, acceptait ce roman, le visage éclairé d’une joie débordante, au milieu de ses larmes. Elle se jeta une fois encore à son cou. Et Hélène n’était nullement gênée par ses caresses, elle n’éprouvait aucun des scrupules de loyauté dont elle avait souffert autrefois. Lorsqu’elle la quitta, après lui avoir fait promettre d’être calme, elle riait au fond d’elle de son adresse, elle sortait ravie.

Quelques jours se passèrent. Toute l’existence d’Hélène se trouvait déplacée ; elle ne vivait plus chez elle, elle vivait chez Henri, par ses pensées de chaque heure. Plus rien n’existait que le petit hôtel voisin, où son cœur battait. Dès qu’elle trouvait un prétexte, elle accourait, elle s’oubliait, satisfaite de respirer le même air. Dans ce premier ravissement de la possession, la vue de Juliette l’attendrissait comme une dépendance d’Henri. Pourtant celui-ci n’avait pu encore la rencontrer un instant seule. Elle semblait mettre un raffinement à retarder l’heure du second rendez-vous. Un soir, comme il la reconduisait jusqu’au vestibule, elle lui avait seulement fait jurer de ne pas