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UNE PAGE D’AMOUR.

coup de choses, il mit la conversation sur les voyages. Autrefois, il avait servi comme chirurgien militaire ; il connaissait toute l’Italie. C’était un pays superbe qu’il fallait admirer au printemps. Pourquoi madame Grandjean n’y menait-elle pas sa fille ? Il en vint ainsi, après d’habiles transitions, à conseiller un séjour là-bas, au pays du soleil, comme il le disait. Hélène le regardait fixement. Alors, il se récria ; ni l’une ni l’autre n’était malade, certes ! seulement, cela rajeunissait de changer d’air. Elle était devenue toute blanche, prise d’un froid mortel, à la pensée de quitter Paris. Mon Dieu ! s’en aller si loin, si loin ! perdre Henri tout d’un coup, laisser leurs amours sans lendemain ! C’était en elle un tel déchirement, qu’elle se pencha vers Jeanne, pour cacher son trouble. Est-ce que Jeanne voulait partir ? L’enfant avait noué frileusement ses petits doigts. Oh ! oui, elle voulait bien ! elle voulait bien aller dans du soleil, toutes seules, elle et sa mère, oh ! toutes seules ; et sur sa pauvre figure maigrie, dont la fièvre brûlait les joues, l’espoir d’une vie nouvelle rayonnait. Mais Hélène n’écoutait plus, révoltée et méfiante, persuadée maintenant que tout le monde s’entendait, l’abbé, le docteur Bodin, Jeanne elle-même, pour la séparer d’Henri. En la voyant si blême, le vieux médecin crut qu’il avait manqué de prudence ; il se hâta de dire que rien ne pressait, décidé à revenir sur cet entretien.

Justement, madame Deberle devait rester chez elle, ce jour-là. Dès que le docteur fut parti, Hélène se hâta de mettre son chapeau. Jeanne refusait de sortir ; elle était mieux auprès du feu ; elle serait bien sage et n’ouvrirait pas la fenêtre. Depuis quelque temps, elle ne tourmentait plus sa mère pour l’accompagner,