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UNE PAGE D’AMOUR.

pas de mourir, dans ce travail qui la mettait en sueur. La mère, à bout de force, ne pouvant plus supporter le bruit de ce râle, s’en allait dans la pièce voisine appuyer sa tête contre un mur.

Peu à peu, Jeanne s’isolait. Elle ne voyait plus le monde, elle avait une expression de visage noyée et perdue, comme si elle eût déjà vécu toute seule, quelque part. Quand les personnes qui l’entouraient voulaient attirer son attention et se nommaient, pour qu’elle les reconnût, elle les regardait fixement, sans un sourire, puis se retournait vers la muraille d’un air de fatigue. Une ombre l’enveloppait, elle s’en allait avec la bouderie irritée de ses mauvais jours de jalousie. Pourtant, des caprices de malade l’éveillaient encore. Un matin, elle demanda à sa mère :

— C’est dimanche, aujourd’hui ?

— Non, mon enfant, répondit Hélène. Nous ne sommes qu’au vendredi… Pourquoi veux-tu savoir ?

Elle ne paraissait déjà plus se rappeler la question qu’elle avait posée. Mais, le surlendemain, comme Rosalie était dans la chambre, elle lui dit à demi-voix :

— C’est dimanche… Zéphyrin est là, prie-le de venir.

La bonne hésitait ; mais Hélène, qui avait entendu, lui adressa un signe de consentement. L’enfant répétait :

— Amène-le, venez tous les deux, je serai contente.

Lorsque Rosalie entra avec Zéphyrin, elle se souleva sur l’oreiller. Le petit soldat, tête nue, les mains élargies, se dandinait pour cacher sa grosse émotion. Il aimait bien mademoiselle, cela l’embêtait sérieusement de lui voir passer l’arme à gauche, comme il le disait dans la cuisine. Aussi, malgré les avertisse-