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UNE PAGE D’AMOUR.

nous avons causé de vous. Il m’a demandé toutes sortes de choses, et si vous étiez triste d’ordinaire, et si vous aviez toujours la même figure… C’est un homme si bon !

Elle avait ralenti la voix, elle semblait attendre sur le visage d’Hélène l’effet de ses paroles, de cet air câlin et anxieux des pauvres qui veulent faire plaisir au monde. Sans doute, elle pensa voir, au front de la bonne dame, un pli de mécontentement, car sa grosse figure bouffie, tendue et allumée, s’éteignit tout d’un coup. Elle reprit en bégayant :

— Je dors toujours. Je suis peut-être bien empoisonnée… Il y a une femme, rue de l’Annonciation, qu’un pharmacien a tuée en lui donnant une drogue pour une autre.

Hélène, ce jour-là, s’attarda près d’une demi-heure chez la mère Fétu, l’écoutant parler de la Normandie, où elle était née, et où l’on buvait de si bon lait. Après un silence :

— Est-ce que vous connaissez le docteur depuis longtemps ? demanda-t-elle négligemment.

La vieille femme, allongée sur le dos, leva à demi les paupières et les referma.

— Ah ! oui, par exemple ! répondit-elle à voix presque basse. Son père m’a soignée avant 48, et il l’accompagnait.

— On m’a dit que le père était un saint homme.

— Oui, oui… Un peu braque… Le fils, voyez-vous, vaut encore mieux. Quand il vous touche, on croirait des mains de velours.

Il y eut un nouveau silence.

— Je vous conseille de faire tout ce qu’il vous dira, reprit Hélène. Il est très-savant, il a sauvé ma fille.

— Bien sûr ! s’écria la mère Fétu qui s’animait. On