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UNE PAGE D’AMOUR.

n’ait pas un chagrin, comblez-la de toutes les prospérités ! Au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit, ainsi soit-il !

Hélène resta toute droite devant Paris, pendant que la mère Fétu s’en allait au milieu des tombes, en bredouillant trois Pater et trois Ave. La neige avait cessé, les derniers flocons s’étaient posés sur les toits avec une lenteur lasse ; et, dans le vaste ciel d’un gris de perle, derrière les brumes qui se fondaient, le ton d’or du soleil allumait une clarté rose. Une seule bande de bleu, sur Montmartre, bordait l’horizon, d’un bleu si lavé et si tendre, qu’on aurait dit l’ombre d’un satin blanc. Paris se dégageait des fumées, s’élargissait avec ses champs de neige, sa débâcle qui le figeait dans une immobilité de mort. Maintenant, les mouchetures volantes ne donnaient plus à la ville ce grand frisson, dont les ondes pâles tremblaient sur les façades couleur de rouille. Les maisons sortaient toutes noires des masses blanches où elles dormaient, comme moisies par des siècles d’humidité. Des rues entières semblaient ruinées, dévorées de salpêtre, les toitures près de fléchir, les fenêtres enfoncées déjà. Une place, dont on apercevait le carré plâtreux, s’emplissait d’un tas de décombres. Mais, à mesure que la bande bleue grandissait du côté de Montmartre, une lumière coulait limpide et froide comme une eau de source, mettant Paris sous une glace où les lointains eux-mêmes prenaient une netteté d’image japonaise.

Dans son manteau de fourrure, les mains perdues au bord des manches, Hélène songeait. Une seule pensée revenait en elle comme un écho. Ils avaient eu un enfant, une petite fille rose et grasse ; et elle la voyait à l’âge adorable où Jeanne commençait à