Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
UNE PAGE D’AMOUR.

— Enfin, reprit-il, elle était joliment forte, quoique pas plus grosse qu’une mauviette ; elle vous troussait la besogne, fallait voir ! Tenez, un jour, elle a allongé une tape à quelqu’un de ma connaissance, oh ! une tape ! J’en ai gardé le bras noir pendant huit jours… Oui, c’est venu comme ça. Dans le pays, tout le monde nous mariait ensemble. Alors, nous n’avions pas dix ans que nous nous sommes topé dans la main… Et ça tient, madame, ça tient…

Il posait une main sur son cœur, en écartant les doigts. Hélène pourtant était redevenue grave. Cette idée d’introduire un soldat dans sa cuisine l’inquiétait. Monsieur le curé avait beau le permettre, elle trouvait cela un peu risqué. Dans les campagnes, on est fort libre, les amoureux vont bon train. Elle laissa voir ses craintes. Quand Zéphyrin eut compris, il pensa crever de rire ; mais il se retenait, par respect.

— Oh ! madame, oh ! madame… On voit bien que vous ne la connaissez point. J’en ai reçu, des calottes !… Mon Dieu ! les garçons, ça aime à rire, n’est-ce pas ? Je la pinçais, des fois. Alors, elle se retournait, et v’lan ! en plein museau… C’est sa tante qui lui répétait : « Vois-tu, ma fille, ne te laisse pas chatouiller, ça ne porte pas chance. » Le curé aussi s’en mêlait, et c’est peut-être bien pour ça que notre amitié tient toujours… On devait nous marier après le tirage au sort. Puis, va te faire fiche ! les choses ont mal tourné. La Rosalie a dit qu’elle servirait à Paris pour s’amasser une dot en m’attendant… Et voilà, et voilà…

Il se dandinait, passait son képi d’une main dans l’autre. Mais, comme Hélène gardait le silence, il crut comprendre qu’elle doutait de sa fidélité. Cela le blessa beaucoup. Il s’écria avec feu :