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LES ROUGON-MACQUART.

persiennes. L’hiver semblait revenu. Rosalie avait tiré soigneusement les rideaux de reps rouge ; la petite salle à manger, bien close, éclairée par la calme lueur de la suspension, qui pendait toute blanche, prenait, au milieu des secousses de l’ouragan, une douceur d’intimité attendrie. Sur le buffet d’acajou, des porcelaines reflétaient la lumière tranquille. Et, dans cette paix, les quatre convives causaient sans hâte, attendant le bon plaisir de la bonne, en face de la belle propreté bourgeoise du couvert.

— Ah ! vous attendiez, tant pis ! dit familièrement Rosalie en entrant avec un plat. Ce sont des filets de sole au gratin pour monsieur Rambaud, et ça demande à être saisi au dernier moment.

M. Rambaud affectait d’être gourmand, pour amuser Jeanne et faire plaisir à Rosalie, qui était très-orgueilleuse de son talent de cuisinière. Il se tourna vers elle, en demandant :

— Voyons, qu’avez-vous mis aujourd’hui ?… Vous apportez toujours des surprises quand je n’ai plus faim.

— Oh ! répondit-elle, il y a trois plats, comme toujours ; pas davantage… Après les filets de sole, vous allez avoir un gigot et des choux de Bruxelles… Bien vrai, pas davantage.

Mais M. Rambaud regardait Jeanne du coin de l’œil. L’enfant s’égayait beaucoup, étouffant des rires dans ses mains jointes, secouant la tête comme pour dire que la bonne mentait. Alors, il fit claquer la langue d’un air de doute, et Rosalie feignit de se fâcher.

— Vous ne me croyez pas, reprit-elle, parce que mademoiselle est en train de rire… Eh bien ! fiez-vous à ça, restez sur votre appétit, et vous verrez si vous