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LES ROUGON-MACQUART.

ment pas à cette heure retourner une omelette. Et le prêtre s’excusait d’un air embarrassé, comme si le manque absolu du sens de la gourmandise fût chez lui un défaut dont il désespérait de se corriger. Mais, vraiment, il avait trop d’autres choses en tête.

— Ça, c’est un gigot, déclara Rosalie en posant le gigot sur la table.

Tout le monde, de nouveau, se mit à rire, l’abbé Jouve le premier. Il avança sa grosse tête, en clignant ses yeux minces.

— Oui, pour sûr, c’est un gigot, dit-il. Je crois que je l’aurais reconnu.

Ce jour-là, d’ailleurs, l’abbé était encore plus distrait que de coutume. Il mangeait vite, avec la hâte d’un homme que la table ennuie, et qui chez lui déjeune debout ; puis, il attendait les autres, absorbé, répondant simplement par des sourires. Toutes les minutes, il jetait sur son frère un regard dans lequel il y avait de l’encouragement et de l’inquiétude. M. Rambaud, lui non plus, ne semblait pas avoir son calme habituel ; mais son trouble se trahissait par un besoin de parler et de se remuer sur sa chaise, qui n’était point dans sa nature réfléchie. Après les choux de Bruxelles, comme Rosalie tardait à apporter le dessert, il y eut un silence. Au dehors, l’averse tombait avec plus de violence, un grand ruissellement battait la maison. Dans la salle à manger, on étouffait un peu. Alors, Hélène eut conscience que l’air n’était pas le même, qu’il y avait entre les deux frères quelque chose qu’ils ne disaient point. Elle les regarda avec sollicitude, elle finit par murmurer :

— Mon Dieu ! quelle pluie affreuse !… N’est-ce pas ? cela vous retourne, vous paraissez souffrants tous les deux ?