Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
321
BAL BAL


porté par les vents, on vit l’apparence vêtue de couleurs changeantes ; son corps de jupe étoit parsemé de glaces de miroir, elle avoit des ailes avec une grande queue de paon, & paroissoit comme accroupie sur une espèce de nid, d’où sortirent en foule les mensonges pernicieux, les fraudes, les mensonges agréables, les flatteries, les intrigues, les mensonges bouffons, les plaisanteries, les jolis petits contes.

Ces personnages formèrent les premières entrées, après lesquelles le temps parut. Il chassa l’apparence, & fit ouvrir le nuage sur lequel elle s’étoit montrée. On apperçut alors une horloge immense à sable, de laquelle sortirent comme en triomphe les heures & la vérité. Après quelques récits analogues au sujet, elles formèrent les dernières entrées, qui terminèrent ce beau spectacle.

Tels étoient les ballets moraux ; ils devoient leur nom à la moralité philosophique, qu’ils représentoient sous une délicate allégorie.

Il est aisé d’appercevoir la vaste carrière, que ces représentations fournissoient à la danse, puisqu’elle en étoit l’ame & le fond. Ces spectacles, au surplus, réunissoient toutes les parties qui peuvent faire éclater le goût & la magnificence d’un souverain. Ils exigeoient des recherches fines pour le choix des habits, des idées vives pour l’assortiment des personnages, de l’habileté pour donner aux danses l’expression convenable, du génie pour l’invention générale ; du talent pour la composition des symphonies ; du goût, de l’ordre, de la variété dans les décorations, de l’imagination, de l’adresse dans les machines, & une dépense immense, pour mettre en mouvement une composition si compliquée.

Plusieurs des personnages d’ailleurs étoient remplis ordinairement par les souverains eux-mêmes, les dames & les seigneurs les plus aimables de leur cour. Les rois ajoutoient souvent à tout ce qu’on vient de rapporter, des présens pour toutes les personnes distinguées qui y représentoient des rôles avec eux ; & ces présens étoient offerts d’une manière d’autant plus galante, qu’ils paroissoient faire partie de l’action théâtrale. On nommoit sapate cette partie du ballet. Il y avoit des ballets entiers qui portoient ce nom ; c’étoient ceux qui n’avoient pour objet que les présens qu’on vouloir faire.

En France, en Angleterre, en Italie, on a représenté dans des temps différens, un fort grand nombre de ces ballets allégoriques & moraux ; mais la cour de Savoye semble l’avoir emporté sur toutes les autres, par le choix, la galanterie & l’arrangement qu’elle a fait éclater dans les siens. Elle avoit au commencement du dernier siècle, le comte Philippe d’Agelie, le génie peut-être le plus fecond qui ait encore existé en inventions théâtrales & galantes. Le grand art des souverains est de sçavoir choisir ; la honte ou la gloire d’un règne dépendent presque toujours d’un homme oublié, ou d’un homme mis à sa place.

Des ballets bouffons.

le premier & peut-être le meilleur ouvrage de ce genre, fut représenté à Venise sur un théâtre public, sous le titre de la verita raminga ; ce qui veut dire, la vérité vagabonde, qui n’a ni feu ni lieu. Ce ballet est le seul qui ait été donné au public, comme spectacle, ailleurs que dans les cours des souverains. Touts les autres ont été des spectacles gratuits, qui ne servoient qu’aux divertissemens de des rois, des princes.

Le temps en fit l’ouverture par une entrée sans récit. Elle fut si bien caractérisée, qu’on comprit aisément par ses pas, ses mouvements & ses attitudes, le sujet qu’on avoit projetté de représenter.

Un médecin & un apothicaire qui formèrent la première scène, s’y réjouissoient de ce que les maux du monde faisoient tout leur bien, & de ce que la terre couvroit toujours leurs fautes.

Pendant ce dialogue, mêlé de danse & de chant, une femme maltraitée par des avocats, des procureurs & des plaideurs, paroît couverte de haillons, maigre, harassée, estropiée. Elle s’adresse au médecin & à l’apothicaire pour leur demander quelques secours. Ils l’interrogent. Elle a la mal-adresse de dire qu’elle est la vérité, & ils la fuient.

Un cavalier qui survient, touché des cris de cette infortunée, s’offre d’abord à elle pour la défendre. Elle a l’imprudence de se découvrir, & il l’abandonne.

Elle apperçoit alors un vieux capitan qu’elle espère d’émouvoir. Celui ci en lui peignant ses prétendus exploits, lui promet de la secourir. Elle qui connoît la forfanterie du capitan, ne peut s’empêcher d’en rire, & il la fuit, en l’accablant d’injures.

Cette première partie du ballet finit par une entrée vive de villageois, qui virent la vérité sans la craindre, sans la fuir & sans s’intéresser à elle. Quelle idée !

Un négociant fit le premier récit de la seconde partie. Il se réjouissoit sans scrupule, de ce que, pour devenir riche, il ne falloit que faire banque-route deux ou trois fois. Cette scène fut suivie d’une entrée dans laquelle un marchand & un traitant cherchoient à se défaire en faveur l’un de l’autre d’une bonne conscience, qui leur pesoit, qu’ils regardoient tous deux comme un meuble fort incommode, & par malheur comme une marchandise d’un très-mauvais débit.

La vérité se présente à ces deux hommes, qui ne la connurent point. Elle voulut traiter avec eux. A son air de pauvreté ils la méprisèrent.

Alors plusieurs quadrilles de femmes jeunes & belles parurent. La vérité s’approcha d’elles de la manière la plus capable de les intéresser. Elles crurent elles-mêmes être touchées du tableau intéressant qui frappoit leurs yeux. Les symphonies sur lesquelles cette entrée étoit dansée exprimoient des sentimens de tendresse & de pitié, que les attitudes,

Equitation, Escrime & Danse.
Ss