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les pas, les figures rendoient avec action. La vérité faisit ce moment : elle se nomme. Tout-à coup la symphonie & la danse changent de caractère ; peu-à-peu les quadrilles se dissipent ; la vérité reste encore triste, rebutée, abandonnée.

Dans cet instant, la muse du théâtre arrive. Elle voit & reconnoît la vérité ; tout le monde, lui dit-elle, vous fuit, vous hait, vous délaisse. Je vais vous accueillir ; mais soyez docile, & laissez-vous conduire.

A sa voix, accourent alors les différens personnages que cette muse introduit sur la scène. Ils entourent par ses ordres la vérité, la déguisent d’une manière agréable, lui font non-seulement changer d’habits, mais encore de geste, de maintien, de langage. Ce n’est plus une figure triste, fâcheuse, dégoûtante ; c’est un personnage vif, gai, amusant, dont la parure & les discours sont désormais l’ouvrage aimable des graces.

Des bouffons qui surviennent rendent hommage à la vérité, la choisissent pour leur souveraine, & terminent ce spectacle par une entrée générale qui exprime la joie la plus folle.

Les ballets de ce genre ont donné l’idée de ces intermèdes qu’on joint en Italie aux grands opéra, & de ces opéra-bouffons qu’en y représente séparément sur des théâtres publics.

On ne compose guère depuis long temps ces ouvrages que sur des sujets bas, communs, & dans le goût de nos farces anciennes ; mais le sortilège d’une musique vive & faillante les rend extrêmement piquans. On oublia malgré foi, pendant la représentation, le mauvais fonds sur lequel ils font bâtis, pour se livrer sans réserve aux détails agréables, au chant d’expression, aux traits multipliés de naturel & de génie dont les musiciens excellens ont l’art de les embellir.

Des mortalités.

Les vieilles tragédies de nos bons aïeux furent appellées de ce nom ; mais les représentations dont il s’agit ici étoient des actions très-différentes. Une imitation des mœurs, des passions, des actions fut la seule cause de cette dénomination qu’on donna à certains ballets plutôt qu’à d’autres.

Il s’en faut bien qu’ils fussent des compositions régulières. Leur singularité seule me détermine à les faire connoître. On en représenta un de cette espèce, pour célébrer le mariage du prince Palatin du Rhin avec la princesse d’Angleterre. En voici la description telle qu’on la trouve dans un auteur contemporain.

Un Orphée jouant de sa lyre entra sur le théâtre suivi d’un chien, d’un mouton, d’un chameau, d’un ours & de plusieurs animaux sauvages, lesquels avoient délaissé leur nature farouche & cruelle en l’oyant chanter & jouer de sa lyre. Après vint Mercure, qui pria Orphée de continuer les doux airs de sa musique, l’assurant que non-seulement les bêtes farouches, mais les étoiles du ciel danseroient au son de sa voix.

Orphée, pour contenter Mercure, recommença ses chansons. Aussitôt on vit que les étoiles du ciel commencèrent à se remuer, sauter, danser ; ce que Mercure regardant, & voyant Jupiter dans une nue, il le supplia de vouloir transformer aucunes de ces étoiles en des chevaliers, qui eussent été renommés en amours pour leur confiante fidélité envers les dames.

A l’instant, on vit plusieurs chevaliers dans le ciel tous vétus d’une couleur de flammes, tenant des lances noires, lesquels ravis aussi de la musique d’Orphée, lui en rendirent une infinité de louanges.

Mercure alors supplia Jupiter de transformer aussi les autres étoiles en autant de dames, qui fussent vêtues de la même couleur que leurs chevaliers.

Mercure voyant que Jupiter avoit ouï ses prières, le supplia de permettre que toutes ces âmes célestes de chevaliers avec leurs dames descendissent en terre pour danser à ces noces royales.

Jupiter lui accorda encore cette requête, & les chevaliers & leurs dames descendant des nues sur le théâtre au son de plusieurs instrumens, dansèrent divers ballets ; ce qui fut la fin de cette belle mortalité.

Quel monstre qu’une pareille composition ! comment ne pas regretter les dépenses excessives qu’elle a dû coûter ? Ce n’est pas cependant par le défaut d’imagination qu’elle péche. Il en falloit, pour la combiner, & il y a de l’esprit & de la galanterie dans la manière dont le dénouement est tourné vers l’objet principal de la fête ; mais quelle barbarie dans le dessein ! quel bisarrerie dans les tableaux ! quelle puérilité dans les moyens ! quel défaut d’agrémens, de graces, de convenance dans tout l’ouvrage.

Sans le goût, même avec du talent, il ne faut rien entreprendre dans les arts. On fait presque tout avec cette partie délicate de l’esprit, & on ne fait rien sans elle. C’est un sentiment vif, prompt & sûr, qui met tout à sa place & qui ne peut rien supporter dans le lieu où il ne doit point être. Il ménage les contrastes, évite les contradictions, écarte les idées basses, dédaigne les petits détails, rejette les moyens frivoles ou gigantesques, n’adopte que les vues fines, les plans nobles, les idées justes.

Le souverain qui sçaît bien choisir, pour imaginer, arranger & conduire une fête d’éclat, diminue quelquefois de moitié la dépense, & double toujours sa gloire.

Des ballets ambulatoires.

Ce n’est pas seulement au théâtre que la danse a formé le fond d’un grand spectacle. Des fêtes consacrées par la piété, autorisées par l’usage, & rendues augustes par le motif qui les fait célébrer, l’ont fait employer encore de la manière la plus