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aucun effet ; dépité, dit, qu’il voyoit bien que c’étoient des bêtes qui commandoient à d’autres bêtes ; & étant monté en loche, s’en alla avec les reines & toute la suite, au festin qui fut le plus magnifique de tous ; nommément en ce que ledit cardinal fit représenter un jardin artificiel garni de fleurs & de fruits, comme si c’eût été en mai, ou en juillet & août.

Le dimanche 15 octobre, festin de la reine dans le louvre, & après le festin le ballet de Circé & de ses Nymphes.

Le triomphe de Jupiter & de Minerve étoit le sujet de ce ballet comique de la reine. Il fut représenté dans la grande salle de Bourbon par la reine, les princesses, les princes & les plus grands seigneurs de la cour ; il commença a dix heures du soir, & ne finit qu’à trois heures après minuit.

Balthasar de Beaujoyeux fut l’inventeur du sujet, & en disposa toute l’ordonnance. Il en communiqua le plan à la reine, qui l’approuva ; mais le peu de temps qui restoit ne lui permettant point de se charger des récits, de la musique & des décorations, la reine, à sa prière, commanda à la Chenaye, aumônier du roi, de faire les vers ; Beaulieu, musicien de la reine, eut ordre de composer la musique ; & Jacques Patin, peintre du roi, fut chargé des décorations.

Le lundi 16, en la belle & grande lice dressée & bâtie au jardin du Louvre, se fit un combat de quatorze blancs contre quatorze jaunes à huit heures, du soir aux flambeaux.

Le mardi 17, autre combat à la pique, à l’estoc, au tronçon de la lance, à pied & à cheval ; & le jeudi 19, fut fait le ballet des chevaux, auquel les chevaux d’Espagne, coursiers & autres en combattant s’avançoient, se retournoient, contournoient au son & à la cadence des trompettes & clairons, y ayant été dressés cinq mois auparavant.

Tout cela fut beau & plaisant ; mais la grande excellence qui se vit les jours de mardi & jeudi, fut la musique de voix & d’instrumens la plus harmonieuse & la plus déliée qu’on ait jamais ouïe (on la devoit au goût & aux soins de Baïf) ; furent aussi les feux artificiels qui brillèrent avec effroyable épouvantement & contentement de toutes personnes, sans qu’aucun en fût offensé.

La partie éclatante de cette fête qui a été saisie par l’historien que j’ai copié, n’est pas celle qui méritoit le plus d’éloges. Il y en eut une qui fut très-supérieure & qui ne l’a pas frappé.

La reine & les princesses qui représentoient dans le ballet les Nayades & les Néréides, terminèrent ce spectacle par des présens ingénieux qu’elles offrirent aux princes & seigneurs qui, sous la figure de tritons, avoient dansé avec elles. C’étoient des médailles d’or gravées avec assez de finesse pour le temps. Peut-être ne sera-t-on pas fâché d’en trouver ici quelques-unes.

Celle que la reine offrit au roi représentoit un dauphin qui nageoit sur les flots ; ces mots étoient gravés sur le revers :

Delphinum ut delphinum rependat.
Ce qui veut dire :
Je vous donne un dauphin & j’en attends un autre.

Madame de Nevers en donna une au duc de Guise, sur laquelle étoit gravé un cheval marin, avec ces mots :

Adversus semper in hostem.
Toujours opposé à l’ennemi.

Il y avoit sur celle que M. de Genevois reçut de madame de Guise, un Arion avec ces paroles :

Populi superat prudentia fluctus.
Le peuple en vain s’émeut ; la prudence l’appaise.

Madame d’Aumale en donna une à M. de Chaussin, sur laquelle étoit gravée une baleine, avec cette belle maxime :

Cui sat nil ultrà.
Avoir assez, c’est avoir tout.

Un phisitès, qui est une espèce d’orque ou de baleine, étoit représenté sur la médaille que madame de Joyeuse offrit au marquis de Pons, ces mots lui servoient de devise :

Sic famam jungere famâ.
Si vous voulez fixer la renommée, occupez toujours ses cent voix.

Le duc d’Aumale reçut un triton tenant un trident & voguant sur les flots irrités. Ces trois mots étoient gravés sur le revers :

Commovet & sedat.
Il les trouble & les calme.

Une branche de corail sortant de l’eau étoit gravée sur la médaille que madame de l’Archant présenta au duc de Joyeuse. Elle avoit ces mots pour devise :

Eadem natura remansit.
Il change en vain ; il est le même.

Ainsi la cour de France troublée par la mauvaise politique de la reine, divisée par l’intrigue, déchirée par le fanatisme, ne cessoit point cependant d’être enjouée, polie & galante. Trait singulier & de caractère, qui seroit sans doute une sorte de mérite, si le goût des plaisirs, sous un roi efféminé, n’avoit été poussé jusqu’à la licence la plus effrénée ; ce qui est toujours une tache pour le souverain, une flétrissure pour les courtisans, & une contagion funeste pour le peuple. Henri III couroit le bal en habit de fille. Il donna un festin entr’autres à sa mère, où les femmes servirent déguisées en hommes. La reine lui rendit la pareille par un autre où les dames les plus belles firent le même office la gorge découverte & les cheveux épars.

Henri IV avoit été élevé dans un pays où l’on danse en naissant. Il ne fut question, dit le duc de Sulli dans ses mémoires, pendant tout le temps du séjour de ce prince en Béarn, que de réjouissances & de galanteries. Le goût de Madame, sœur du roi, pour ces divertissemens, lui étoit d’une ressource inépuisable. J’appris auprès de cette princesse,