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étroit dans lequel une forte de superstition les tenoit renfermés. Ainsi les défauts actuels dérivent presque tous du vice primitif. La danse étoit au berceau en France lors de l’établissement de l’opéra ; l’habitude, l’usage, la tradition, seules règles des artistes bornés, l’y ont depuis retenue comme emmaillotée. C’est-là qu’ils la bercent des prétendues perfections de l’exécution ancienne, & qu’ils l’endorment dans le sein de la médiocrité. Qu’on seroit étonné si l’on voyoit ces anciens danseurs avec leur noblesse, leurs grâces, &c., à côté (je ne dis pas de Dupré, son talent supérieur & trente ans de succès l’ont placé dans l’opinion des François au-dessus de tout ce qui ayoit paru avant lui), je ne parle que de nos jeunes danseurs qu’on croit sans doute fort inférieurs aux danseurs, tant vantés du dernier siècle. La tradition théâtrale nous les peint comme des colosses ; le goût ne nous les montreroit plus que comme des pigmées. Cette observation ne contredit point mes premières oppositions. Je crois les danseurs modernes fort supérieurs à ceux du siècle dernier ; quoique je sois très-convaincu que la danse est très-fort au-dessous de ce qu’elle pourroit être.

Du ballet moderne.

Lors de l’établissement de l’opéra en France on conserva le fonds du grand ballet, dont on fit un spectacle à part ; mais on en changea la forme. Quinault imagina un genre mixte, qui n’en étoit pas un, dans lequel les récits firent la partie la plus confidérable du spectacle. La danse n’y fut qu’en sous-ordre. Ce fut en 1671 qu’on représenta à Paris les fêtes de Bacchus & de l’amour ; (les paroles étoient de Quinault & la musique de Lully. Cet ouvrage fut fait à la hâte, pour remplir le théâtre qu’on venoit doter à Cambert pour le donner à Lully). Cette nouveauté plut, & en 1681 le roi & toute la cour exécutèrent à Saint-Germain le triomphe de l’amour, ouvrage fait dans le même goût, dont le succès anéantit pour jamais le grand ballet, qui avoit été si longtemps le seul spectacle de notre cour. Dès-lors la danse reprit parmi nous sur tous nos théâtres, à l’exception de celui de l’opéra, la place qu’elle avoit occupée sur les théâtres des Grecs. On ne l’y fit plus servir que d’intermède. Le grand ballet fut pour toujours relégué dans les collèges, & à l’opéra même le chant prit tout-à-fait le dessus. On avoit plus de chanteurs que de danseurs passables. Les spectacles de danse avoient été formés jusqu’alors par les personnes qualifiées de la cour. L’art, ou pour mieux dire, l’ombre de l’art ne s’étoit conservée que parmi les gens du monde. En formant un spectacle public, on n’eut pour ressources que quelques maîtres à danser, dont toute la science consistoit à montrer les danses nécessaires dans les bals de cérémonie, ou un nombre fort borné de pas de caractère, qui entroient dans ta composition des grands ballets. La disette de sujets étoit alors si grande en France, que notre opéra fut exécuté pendant plus de dix ans sans danseuses. On faisoit habiller en femmes deux ou quatre danseurs qui figuroient sous cette mascarade dans les fêtes de ce spectacle. Le triomphe de l’amour fut le premier ouvrage en musique où quatre véritables femmes dansantes furent introduites, & on vanta alors cet établissement, comme on loueroit de nos jours l’établissement d’une salle de spectacle bien régulière & proportionnée au degré de splendeur où nous pouvons croire sans orgueil que notre ville capitale est montée. Tant il est vrai que dans les siècles les plus éclairés, il y a toujours dans les arts quelque partie éloignée où la lumière ne perce point encore.

Le défaut de sujets fut sans doute le motif qui engagea Quinault à défigurer le grand ballet, & peut-être est-il la seule excuse qu’on puisse donner d’une partie des vices principaux qui ont énervé l’exécution primitive de l’opéra françois. Ce beau génie qui avoit eu des idées si vastes, si nobles, si vraies sur le genre qu’il avoit créé, n’eut que des vues fort bornées sur le ballet qu’il n’avoit que défiguré. Il fut imité depuis par touts ceux qui travaillèrent après lui pour le théâtre lyrique. Le propre des talents communs est de suivre servilement à la piste la marche des grands talents. Ainsi, après sa mort, on fit des opéra coupés comme les siens ; mais qui n’étoient animés ni des grâces de son style, ni des charmes du sentiment, qui étoit sa partie sublime, ni de ces traits brillants de spectacle qu’il répandoit en esprit inventeur dans ses belles compositions. On pouvoir l’atteindre plus aisément dans le ballet où il étoit fort au-dessous de lui-même ; ainsi on l’imita dans sa partie défectueuse, où on régala ; mais on ne fit que le copier dans sa partie supérieure, où peut-être ne l’égalera-t-on jamais.

Telle fut la marche lente des progrés du théâtre lyrique jusqu’en l’année 1697, que la Motte, en créant un genre tout neuf, acquit l’avantage de se faire copier à son tour.

Ce poëte, dont un de ses amis a dit que sa mort même n’avoit rien fait pour sa gloire, imagina un spectacle de chant & de danse formé de plusieurs actions différentes, toutes complettes & sans autre liaison entre elles qu’un rapport vague & indéterminé.

L’opéra imaginé par Quinault est une grande action suivie pendant le cours de cinq actes. C’est un tableau d’une composition vaste, tels que ceux de Raphaël & de Michel-Ange. Le spectacle trouvé par la Motte est un composé de plusieurs actes différents qui représentent chacun une action mêlée de divertissemens, de chant & de danse. Ce sont de jolis vateau, des mignatures piquantes, qui exigent toute la précision du dessin, les grâces du pinceau, & tout le brillant du coloris.

Ce genre, dans sa nouveauté, balança le succès du grand opéra, parce que le goût est exclusif parmi nous, & que c’est un défaut ancien & national