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dre, aux autres enfin un caradère de volupté qui suspendroit ou qui partageroit la crainte des Nymphes. L’esquisse de ce tableau détermine naturellement la composition de l’autre ; je vois alors des Nymphes qui flottent entre le plaisir & la crainte ; j’en apperçois d’autres qui me peignent par le contraste de leurs attitudes, les différents mouvements dont leur ame est agitée ; celles-ci sont plus fières que leurs compagnes ; celles-là mêlent a leur frayeur un sentiment de curiosité, qui rend le tableau plus piquant ; cette diversité est d’autant plus séduisante, qu’elle est l’image de la nature. Convenez donc que la symmétrie doit toujours être bannie de la danse en action.

Je demanderai à touts ceux qui ont des préjugés d’habitude, s’ils trouveront de la symmétrie dans un troupeau de brebis qui veut échapper à la dent meurtrière des loups, ou dans des paysans qui abandonnent leurs champs & leurs hameaux, pour éviter la fureur de l’ennemi qui les poursuit ? Non sans doute ; mais l’art est de sçavoir déguiser l’art. Je ne prêche point le désordre & la confusion ; je veux, au contraire, que la régularité se trouve dans l’irrégulanté même ; je demande des grouppes ingénieux, des situations fortes, mais toujours naturelles, une manière de composer qui dérobe aux yeux toute la peine du compositeur. Quant aux figures, elles ne sont en droit de plaire que lorsqu’elles sont présentées avec rapidité, & dessinées avec autant de goût que d’élégance.

Des maîtres de ballets.

Je ne puis m’empécher de désapprouver les maîtres de ballets qui ont l’entêtement ridicule de vouloir que les figurans & les figurantes se modèlent exactement d’après eux, & comparent leurs mouvements, leurs gestes & leurs attitudes d’après les leurs ; cette singulière prétention ne doit-elle pas s’opposer au développement des grâces naturelles des exécutans, & étouffer en eux le sentiment d’expression qui leur est propre ?

Ce principe me paroît d’autant plus dangereux, qu’il est rare de trouver des maîtres de ballets qui sentent ; il y en a si peu qui soient excellens comédiens, & qui possèdent l’art de peindre, par les gestes, les mouvements de l’ame ; il est, dis-je, si difficile de retrouver parmi nous Batyle & Pylades, que je ne saurois me dispenser de condamner touts ceux qui, par l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes, prétendent à se faire imiter. S’ils sentent foiblement, ils exprimeront de même ; leurs gestes seront froids, leur physionomie sans caractère, leurs attitudes sans passion. N’est-ce pas induire les figurans à erreur, que de leur faire copier du médiocre ? n’est-ce pas perdre son ouvrage, que de le faire exécuter gauchement ? Peut-on d’ailleurs donner des préceptes fixes pour l’action pantomime ? Les gestes ne sont-ils pas l’ouvrage de l’ame, & les interprètes fidèles de ses mouvements ?

Un maître de ballets sensé doit faire, dans cette circonstance, ce que font la plupart des poëtes, qui, n’ayant ni les talents, ni les organes propres à la déclamation, font lire leur pièce, & s’abandonnent entièrement à l’intelligence des comédiens pour la représenter. Ils assistent, direz-vous, aux répétitions, j’en conviens ; mais ils donnent moins de préceptes que de conseils. Cette scène me paroît rendue foiblement ; vous ne mettez pas assez de débit dans telle autre ; celle-ci n’est pas jouée avec assez de feu, & le tableau qui résulte de cette situation me laisse quelque chose à desirer ; voilà le langage du poëte. Le maître de ballets, à son exemple, doit faire recommencer une scène en action, jusqu’à ce qu’enfin ceux qui l’exécutent aient rencontré cet instant de naturel inné chez touts les hommes ; instant précieux, qui se montre toujours avec autant de force que de vérité, lorsqu’il est produit par le sentiment.

Le ballet bien composé est une peinture vivante des passions, des mœurs, des usages, des cérémonies & du costume de touts les peuples de la terre ; conséquemment il doit être pantomime dans touts les genres, & parler à l’ame par les yeux. Est-il dénué d’expression, de tableaux frappans, de situations fortes, il n’offre plus alors qu’un spectacle froid & monotone. Ce genre de composition ne peut souffrir de médiocrité ; à l’exemple de la peinture, il exige une perfection d’autant plus difficile à atteindre, qu’il est subordonné à l’imitation fidelle de la nature, & qu’il est mal-aisé, pour ne pas dire impossible, de saisir cette sorte de vérité séduisante qui dérobe l’illusion au spectateur, qui le transporte, en un instant, dans le lieu où la scène a dû se passer, qui met son ame dans la même situation où elle seroit, s’il voyoit l’action réelle dont l’art ne lui présente que l’imitation. Quelle précision ne faut-il pas encore avoir, pour n’être pas au-dessus ou au-dessous de l’objet que l’on veut imiter ? Il est aussi dangereux de trop embellir son modèle que de l’enlaidir ; ces deux défauts s’opposent également à la ressemblance ; l’un exagère la nature, l’autre la dégrade.

Les ballets étant des représentations, ils doivent réunir les parties du drame. Les sujets que l’on traite en ce genre sont, pour la plupart, vuides de sens, & n’offrent qu’un amas confus de scènes aussi mal cousues que désagréablement conduites ; cependant il est, en général, indispensable de se soumettre à de certaines règles. Tout sujet de ballet doit avoir son exposition, son nœud & son dénouement. La réussite de ce genre de spectacle dépend en partie du bon choix des sujets & de leur distribution.

L’art de la pantomime est sans doute plus borné de nos jours, qu’il ne l’étoit sous le règne d’Auguste ; il est quantité de choses qui ne peuvent se rendre intelligiblement par le secours des gestes. Tout ce qui s’appelle dialogue tranquille, ne peut trouver place dans la pantomime. Si le compositeur n’a pas l’adresse de retrancher de son sujet ce