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la science des temps exigent toute son application. Ce n’est en effet que d’après d’exactes connoissances dans toutes ces parties, que nous pouvons espérer de réussir dans nos compositions. Réunissons le génie du poëte & le génie du peintre, l’un pour concevoir, l’autre pour exécuter.

Une teinture de géométrie ne peut être encore que très-avantageuse ; elle répandra de la netteté dans les figures, de l’ordre dans les combinaisons, de la précision dans les formes. En abrégeant les longueurs, elle prêtera de la justesse à l’exécution.

Le ballet est une espèce de machine plus ou moins compliquée, dont les différents effets ne frappent & ne surprennent qu’autant qu’ils sont prompts & multipliés. Ces liaisons & ces suites de figures, ces mouvements qui se succèdent avec rapidité, ces formes qui tournent dans des sens contraires, ce mélange d’enchaînement, cet ensemble & cette harmonie qui régnent dans les temps & dans les développemens, tout ne vous peint-il pas l’image d’une machine ingénieusement construite ?

Les ballets, au contraire, qui traînent après eux le désordre & la confusion, dont la marche est inégale, dont les figures sont brouillées, ne ressemblent-ils pas à ces ouvrages de méchanique mal combinés, qui, chargés d’une quantité immense de roues & de ressorts, trompent l’attente de l’artiste & l’espérance du public, parce qu’ils pèchent également par les proportions & la justesse ?

Nos productions tiennent souvent encore du merveilleux. Plusieurs d’entre elles exigent des machines ; il est, par exemple, peu de sujets dans Ovide, que l’on puiffe rendre sans y associer les changements, les vols, les métamorphoses, &c. ; il faut donc qu’un maître de ballets renonce aux sujets de ce genre, s’il n’est machiniste lui-même. On ne trouve malheureusement en province que des manœuvres ou des garçons de théâtre, que la protection comique élève par degrés à ce grade ; leurs talens consistent & se renferment dans la science de lever les lustres qu’ils ont mouchés longtemps, ou dans celle de faire descendre par saccades une gloire mal équipée. Les théâtres d’Italie ne brillent point par les machines ; ceux de l’Allemagne, construits sur les mêmes plans, sont également privés de cette partie magique du spectacle ; en sorte qu’un maître de ballets se trouve fort embarrassé sur ces théâtres, s’il n’a quelque connoissance du méchanisme, s’il ne peut développer ses idées avec clarté & construire à cet effet de petits modèles, qui servent toujours plus à l’intelligence des ouvriers que touts les discours, quelque clairs & quelque précis qu’ils puissent être.

Les théâtres de Paris & de Londres sont ceux ou l’on trouve dans ce genre les plus grandes ressources. Les Anglois sont ingénieux ; leurs machines de théâtre sont plus simplifiées que les nôtres ; aussi les effets en sont-ils aussi prompts que subtils. Chez eux, touts les ouvrages qui concernent la manœuvre sont d’un fini & d’une délicatesse admirable ; cette propreté, ce soin & cette exactitude qu’ils emploient dans les plus petites parties, peuvent contribuer sans doute à la vitesse & à la précision. C’est principalement dans leurs pantomimes, genre trivial, sans goût, sans intérêt, d’une intrigue basse, que les chefs-d’œuvre du méchanisme se déploient. On peut dire que ce spectacle, qui entraîne après lui des dépenses immenses, n’est fait que pour des yeux que rien ne peut blesser, & qu’il réussiroit médiocrement sur nos théâtres, où l’on n’aime la plaisanterie qu’autant qu’elle est associée à la décence, qu’elle est fine & délicate, & qu’elle ne blesse ni les mœurs ni le goût.

Un compositeur qui veut s’élever au-dessus du commun, doit étudier les peintres, & les suivre dans leurs différentes manières de composer & de faire. Son art a le même objet à remplir que le leur, soit pour la ressemblance, le mélange des couleurs, le clair obscur, soit pour la manière de groupper & de draper les figures, de les poser dans des attitudes élégantes, de leur donner enfin du caractère, du feu, de l’expression ; or, le maître de ballets pourra-t-il réussir, s’il ne réunit les parties & les qualités qui constituent le grand peintre ?

Je pars de ce principe, pour oser croire que l’étude de l’anatomie jettera de la netteté dans les préceptes qu’il donnera aux sujets qu’il voudra former ; il démêlera dès-lors aisément les vices de conformation, & les défauts d’habitude qui s’opposent si souvent aux progrès des élèves. Connoissant la cause du mal, il y remédiera facilement ; dirigeant ses leçons & les préceptes d’après un examen sage & exact, ils ne porteront jamais à faux. C’est au peu d’application que les maîtres apportent à dévoiler la conformation de leurs écoliers (conformation qui varie tout autant que les physionomies), que l’on doit cette nuée de mauvais danseurs, qui seroit moindre sans doute, si on avoit eu le talent de les placer dans le genre qui leur étoit propre.

M. Bourgelat, écuyer du roi, chef de l’académie de Lyon, aussi cher aux étrangers qu’à sa nation, ne s’est pas borné à exercer des chevaux une grande partie de sa vie ; il en a soigneusement recherché la nature ; il en a reconnu jusqu’aux fibres les plus déliées. Ne croyez pas que les maladies de ces animaux aient été l’unique but de ses études anatomiques ; il a forcé, pour ainsi dire, la nature à lui avouer ce qu’elle avoit constamment refusé de révéler jusqu’à lui ; la connoissance intime de la succession harmonique des membres du cheval dans toutes ses allures & dans touts les airs, ainsi que la découverte de la source, du principe & des moyens de touts les mouvements dont l’animal est susceptible, l’ont conduit à une méthode unique, simple, facile, qui tend à ne jamais rien exiger du cheval que dans des temps justes, naturels & possibles ; temps qui sont donc les seuls où l’exécution n’est point pénible à l’animal, & où il ne sauroit se soustraire à l’obéissance.

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