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se, ou du moins connoître le temps & la possibilité des mouvements qui sont propres à chaque passion, pour pouvoir ajuster des traits convenables à toutes les situations que le danseur peut peindre successivement ; mais loin de s’attacher aux premiers éléments de cet art, & d’en apprendre la théorie, il fuit le maître de ballet, il s’imagine que son art l’élève & lui donne le pas sur la danse. Je ne disputerai point avec lui, quoiqu’il n’y ait que la supériorité & non la nature du talent, qui puisse mériter des préséances & des distinctions.

La plupart des compositeurs suivent, je le répète, les vieilles rubriques de l’opéra ; ils font des paffepieds, parce que mademoiselle Prévôt les couroit avec élégance ; des musettes, parce que mademoiselle Sallé & M. Dumoulin les dansoient avec autant de grace que de volupté ; des tambourins, parce que c’étoit le genre où mademoiselle Camargo excelloit ; des chaconnes enfin & des passacailles, parce que le célèbre Dupré s’étoit comme fixé à ces mouvements, qui s’ajustoient à son goût, à son genre & à la noblesse de sa taille ; mais touts ces excellents sujets n’y sont plus ; ils ont été remplacés & au-delà dans des parties, & ne le seront peut-être jamais dans les autres. Mademoiselle Lany a effacé toutes celles qui brilloient par la beauté, la précision & la hardiesse de leurs exécutions : c’est la première danseuse de l’univers ; mais on n’a point oublié l’expression naïve de mademoiselle Sallé ; ses graces sont toujours présentes, la minauderie des danseuses de ce genre n’a pu éclipser cette noblesse & cette simplicité harmonique des mouvements tendres, voluptueux, mais toujours décents de cette aimable danseuse. Personne n’a encore succédé à M. Dumoulin ; il dansoit le pas de deux avec une supériorité que l’on aura de la peine à atteindre ; toujours tendre, toujours gracieux, tantôt papillon, tantôt zéphir, un instant inconstant, un autre instant fidèle, toujours animé par un sentiment nouveau, il rendoit avec volupté touts les tableaux de la tendresse. M. Vestris a remplacé le célèbre Dupré, c’est faire son éloge ; mais nous avons M. Lany, dont la supériorité excite l’admiration, & l’élève au-dessus de ceux que je pourrois lui prodiguer. Nous avons des danseurs & des danseuses qui mériteroient ici une apologie, si cela ne m’éloignoit pas trop de mon but. Nous avons enfin des jambes & une exécution que nos prédécesseurs n’avoient point ; cette raison devroit déterminer, ce me semble, les musiciens à se varier dans leurs mouvements, & à ne plus travailler pour ceux qui n’existent que dans la mémoire du public, & dont le genre est presqu’éteint. La danse de nos jours est neuve ; il est absolument nécessaire que sa musique le soit aussi.

On se plaint que les danseurs ont du mouvement sans action, des graces sans expression ; mais ne pourroit on pas remonter à la source du mal ? Dévoilez-en les causes, vous l’attaquerez avec avantage, & vous emploierez alors les remèdes propres à la guérison.

J’ai dit que la plupart des ballets de ce spectacle étoient froids, quoique bien dessinés & bien exécutés. Est-ce uniquement la faute du compositeur ? Lui seroit-il possible d’imaginer touts les jours de nouveaux plans, & de mettre la danse en action à la fin de touts les actes de l’opéra ? Non sans doute, la tâche seroit trop pénible à remplir ; un tel projet d’ailleurs ne peut s’exécuter sans des contradictions infinies, à moins que les poëtes ne se prêtent à cet arrangement, & ne travaillent de concert avec le maître de ballets sur touts les projets qui auront la danse pour but.

Voyons ce que fait habituellement le maître de ballets à ce spectacle, & examinons l’ouvrage qu’on lui distribue. On lui donne une partie de répétition ; il l’ouvre, & il lit : prologue ; passepied pour les jeux & les plaisirs ; gavotte pour les ris, & rigaudon pour les songes agréables. Au premier acte : air marqué pour les guerriers, second air pour les mêmes ; musette pour prêtresses. Au second acte ; loure pour les peuples ; tambourin & rigaudon pour les matelots. Au troisième acte ; air marqué pour les démons ; air vif pour les mêmes. Au quatrième acte ; entrée des Grecs & chaconne, sans compter les Vents, les Tritons, les Nayades, les Heures, les signes du Zodiaque, les Bacchantes, les Zéphirs, les Ondins & les songes funestes ; car cela ne finiroit jamais. Voilà le maître de ballets bien instruit ! le voilà chargé de l’exécution d’un plan bien magnifique & bien ingénieux. Qu’exige le poëte ? Que touts les personnages du ballet dansent, & on les fait danser. De cet abus, naissent les prétentions ridicules ; « Monsieur, dit le premier danseur au maître de ballets, je remplace un tel, & je dois danser tel air ». Par la même raison, mademoiselle une telle se réserve les passepieds ; l’autre les musettes ; celle-ci les tambourins ; celui-là les loures ; celui-ci la chaconne ; & ce droit imaginaire, cette dispute d’emplois & de genres fournissent à chaque opéra vingt entrées seules, qui sont dansées avec ses habits d’un goût & d’un genre opposés, mais qui ne différent ni par le caractère, ni par l’esprit, ni par les enchaînements de pas, ni par les attitudes ; cette monotonie prend sa source de l’imitation machinale. M. Vestris est le premier danseur, il ne danse qu’au dernier acte ; c’est la règle : elle est au reste conforme au proverbe, qui astreint à conserver les meilleures choses pour les dernières. Que font les autres danseurs de ce genre ? Ils estropient l’original, ils le chargent & n’en prennent que les défauts ; car il est plus aisé de saisir les ridicules, que d’imiter les perfections : tels étoient les courtisans d’Alexandre qui, ne pouvant lui ressembler par sa valeur & ses vertus héroïques, portoient la tête de côté, pour imiter le défaut naturel de ce prince. Voilà donc de froides copies qui multiplient l’original de cent manières différentes, & qui le défigurent continuellement. Ceux d’un autre genre sont aussi maus-