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les Arts est d’offrir des agrémens vrais, qui n’aient rien d’affecté, & s’il se peut, une moralité douce, aimable qui plaise en instruisant.

Le mot agréable, dont il est si essentiel dans les Arts de bien connoître le véritable sens, malheureusement n’en a pas un bien précis dans le langage ordinaire ; car ce qui est très-agréable pour un homme, l’est souvent beaucoup moins, ou ne l’est point du tout pour un autre.

Il résulte de-là une indécision assez grande, pour que l’on ne s’entende pas clairement ; cependant, comme il est indispensable aux hommes de paroître au moins se comprendre, & que le mot dont il s’agit est d’un usage fréquent, il s’est formé une idée vague, dont on se contente, idée qui est d’autant moins profitable à la Peinture & aux autres Arts, qu’elle est susceptible d’une infinitê de modifications arbitraires, mais sur laquelle, par cette raison, chacun des hommes qui ne se trouvent pas d’accord entr’eux, se réserve le droit de réclamer, selon qu’elle blesse plus ou moins son sentiment personnel.

Les idées que nous avons le plus généralement aujourd’hui, à l’occasion du mot agréable, deviennent de plus en plus vagues, parce que nous nous éloignons de plus en plus de la nature, & que les progressions de la civilisation, qui a ses inconvéniens, comme ses avantages, les rendent souvent trop personnelles, ou trop sujettes à des conventions. Ces idées deviennent donc le jouet des préjugés, des affections momentanées, des caprices du luxe, des abandons de la mollesse ; enfin, de toutes les altérations qu’éprouvent les mœurs & le goût.

En effet, ce qu’on désigne le plus ordinairement par agréable dans nos Arts & dans nos Sociétés, n’est guère relatif aujourd’hui qu’à des objets de délassement, de fantaisie, à des formes de caprice, à des expressions, à des tours affectés, dont le caractère tient toujours plus au manièré qu’au simple & au noble.

Dans la Peinture sur-tout, on nomme fréquemment agréables des tours de figures, qui ne flattent les regards que d’après les mœurs ou les goûts dominans.

Mais si les mœurs sont relâchées, si le goût est altéré, les objets agréables ne passeront pour tels que relativement à des recherches d’esprit & de volupté, & ces objets s’éloigneront de la nature qui est la source & le modèle des véritables agrémens. Alors l’ Artiste foible & qui réfléchit peu, se persuadera que le seul moyen de rendre ses ouvrages agréables, est de se conformer au goût, je veux dire, aux conventions de son temps. S’il peint donc Vénus, au lieu de la représenter céleste ou du moins animée ce sentiment naturel, primitif, dont l’expression est la simplicité, la vérité, l’abandonnement naïf au vœu de la nature, il la peindra manièrée, artificieuse, occupée du projet de plaire, bien plus que du sentiment d’aimer. Il copiera la femme galante d’un rang distingué ou celle d’un ordre inférieur, & sur-tout les minauderies qu’on voit trop souvent applaudir sur la scène ; car les idées d’agrément, lorsque les mœurs & le goût s’altèrent, se prennent dans les deux classes de la Société qui s’éloignent généralement le plus du naturel, la Cour & le Theâtre.

En effet, on peut remarquer, par exemple, relativement au Théâtre, que parmi les Nations chez lesquelles l’altération du goût se fait sentir, aulieu que les Comédiens devroient se modéler sur les Spectateurs, en imitant non-seulement les passions, mais les attitudes, les gestes, les mouvemens de l’homme, l’homme apprend du Comédien à exprimer, à sentir, à se composer un maintien, à se parer, à donner enfin de l’agrément à son action & à sa figure. On imite ceux qui devroient n’être que des imitateurs ; on emprunte leur ton, leurs airs, leurs inflexions, leur contenance, leur manière de se vêtir, & les Artistes, trompés par des applaudissemens qu’ils voient prodiguer souvent à l’exagération & à l’affectation, dirigent d’après ces idées celles qui sont relatives à leur Art.

Ils regardent donc comme agréable ce qu’on appelle ainsi & ressemblent aux médiocres Peintres, qui copient le mannequin, croyant mieux faire que de copier la nature.

Artistes, qui vous sentez entraîner à donner plus d’agrément que d’énergie à vos ouvrages, recherchez donc & retrouvez au sein de la nature & à l’aide de la méditation, ce qui est véritablement agréable dans la nature, que les grandes Sociétés s’efforcent de défigurer ou de repousser loin d’elles.

Éloignez les idées d’affectation & de recherche en conservant vous-même une agréable simplicité dans vos mœurs, de la franchise sans dureté dans votre ame ; enfin, ce caractère qui vous porte à plaire par les moyens de votre Art.

Consacrez-vous à un travail raisonné & suivi, seul moyen de vous éclairer sur les vrais principes, comme sur les véritables agrémens. Appréciez dans le calme de l’attelier, ces erreurs sociales, ces extravagances des modes qui changent les formes mêmes des corps & qui dénaturent leurs mouvemens, sans les rendre agréables. Nourrissez-vous de ces ouvrages dont la réputation consacrée réclame, sans cesse, contre le faux goût, qui ne sont point ce qu’on appelle agréables, mais sublimes, & si vous êtes enfin bien convaincus qu’on ne trouve jamais les véritables agrémens dans l’artifice, vous chercherez les perfections propres à votre Art, dans la nature, & vous aurez du plaisir à voir l’homme tel qu’il est, & la campagne sans parure étrangère.

Pour cette classe distinguée, à laquelle on