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14 AIR AIR


devroit être autorisé de demander secours contre les atteintes des faux goûts & des faux agrémens, souhaitons qui au moins elle continue de désigner avec un souris ironique & par nom d’agréables hommes en qui elle reconnoît les ridicules affectations dont j’ai parlé, & que ceux qu’on distingue par les titres de nobles, d’élevés, de grands, évitent qu’enfin le sens de ces mots ne prenne une teinte moins imposante ; car il faut observer que le sens des mots, chez une Nation mobile, est variable comme elle ; ensorte que les titres même les plus respectables, s’ils ne sont respectés par ceux qui les portent, peuvent devenir des noms de dérision ; qui sait si le mépris même n’auroit pas la hardiesse de les profaner ?

AIR, (subst. masc.) L’air, dont l’idée commune est celle d’un élément invisible, se rend cependant sensible aux regards des Artistes-Peintres, comme il le devient aux savans Physiciens par les observations & par les expériences auxquelles ils le soumettent.

Cet élément, qui n’offre rien à ceux qui ignorent tout, produit sur l’apparence des corps, les effets les plus marqués & les plus intéressans pour l’Artiste qui veut imiter exactement cette apparence.

En effet, diminuer par son interposition les dimensions des corps, relativement à la distance où ils sont de l’œil du spectateur, voilà l’effet visible de l’air : adoucir la teinte des objets, joindre à leurs couleurs propres, des nuances qui lui appartiennent, rendre enfin les formes plus ou moins caractérisées, plus ou moins indécises ; voilà, en général, ce que font à nos regards, & plus sensiblement à ceux du Peintre, des atômes que nous appellons invisibles.

Comment imiter ces effets aëriens sur une surface unie ? Comment peindre une substance qui, n’ayant ni forme, ni couleur apparente, mêle cependant un léger azur à toutes les teintes de la Nature ? Ce ne peut être qu’avec le secours de l’artifice.

L’Artiste ne peut donc pas, à cet égard, opérer comme il fait relativement aux contours & aux formes qu’il représente réellement, tels qu’ils s’offrent dans leur apparence visible. Sa seule ressource est de rappeller à l’esprit de ceux qui voient ses tableaux, les effets de l’air, de manière que l’imagination croie qu’il circule entre les objets dont ce qu’on appelle platte Peinture, présente les images.

Pour cela, le Peintre doit distinguer & considérer avec une attention réfléchie, ce que produisent sur les objets réels, en raison des distances,

La vaguesse de l’air,
Sa légèreté,
Sa transparence ;


enfin, cette nuance éthérée dont j’ai parlé, nuance qui modifie toutes les couleurs & l’éclat même de la lumière.

Reprenons par ordre ces qualités de l’air, qui intéressent particulièrement le Peintre.

La vaguesse & l’ondulation continuelle des globules imperceptibles de l’air, produisent dans les contours eu dans le trait des objets, cette douceur & ces interruptions agréables qui nous font regarder, comme dures, lourdes & découpées les imitations dans lesquelles ces effets ne sont pas retracés ou indiqués.

C’est donc pour imiter les effets de l’air, & en même temps les accidens de la lumière, que le Dessinateur & le Peintre ont l’art de rendre leur trait quelquefois fin, léger & presqu’imperceptible, quelquefois plus marqué, quelquefois enfin prononcé fortement ; & c’est ce donc il me semble qu’on ne rend pas compte autant qu’il le faudroit à ceux qui commencent à s’exercer au dessin.

Cependant il est essentiel de prévenir, dans ces jeunes Artistes, les imitations machinales. Elles ne sont que trop communes, & il est indispensable de leur apprendre à distinguer & de leur faire bien comprendre les rapports qui existent entre les moyens de l’Art & les effets de la Nature.

L’usage est de dire à l’Elève qu’on instruit :

» Lorsque vous dessinez, tracez légèrement vos
» contours, interrompez-les ; faites-les sentir
» d’une manière plus marquée de temps en temps,
» en appuyant le crayon ; prononcez les touches.
» C’est ainsi que vous donnerez à votre trait de
» la grace, du goût & de l’expression. «


Mais ne faudroit-il pas lui dire aussi : » Obser-
» vez le contour de ce modèle exposé à vos
» yeux, & remarquez que le trait échappe à vos
» regards dans une infinité d’endroits ; qu’il
» est sensible dans plusieurs autres ; qu’enfin, dans
» certains plans, dans certaines courbures, il est
» très-prononcé. Lorsqu’il échappe à vos yeux,
» c’est que les derniers plans visibles de la surface
» que vous observez, s’inclinent insensiblement
» pour disparoître à vos regards, & qu’étant
» éclairés d’une lumière douce qui glisse sur eux,
» ils se confondent avec le fond sur lequel ils se
» trouvent, & qu’ils échappent de manière que
» l’œil les perd & ne les apperçoit réellement plus.
» L’ondulation de l’air, indépendamment de son
» interposition, contribue encore à vous dérober
» les extrémités indécises du trait. Vous paroît-il
» plus prononcé, plus distinct ? c’est que la teinte
» du fond, sur lequel l’objet que vous observez
» s’offre à vos regards, se trouve plus claire.
» Ainsi vous devez considérer & retenir que c’est
» par l’opposition claire ou obscure des objets
» avec leur fond que se distinguent ces objets &
» leurs contours. Enfin, ces parties du contour,
» qui, fortement articulées, vous invitent à