Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ANA ANA 23


paraisons du méchanisme des animaux & de celui de l’homme.

C’est en se livrant à ces études, non moins sàtisfaisantes & utiles, qu’elles sont laborieuses & souvent rebutantes, qu’on peut s’instruire de ce qui est déjà connu dans cette science & ensuite l’avancer par des découvertes nouvelles, à l’avantage de l’humanité & à la satisfaction d’une curiosité louable.

Il ne s’agit pas pour le Peintre de se plonger dans cette immense entreprise. L’Artiste ne s’occupe, en général, que de l’extérieur de l’homme. Il n’est tenu que d’en représenter les apparences visibles. Les grands secrets de l’organisation interne lui sont inutiles ; mais ce que les apparences lui offrent ne suffit cependant pas pour le conduire à la perfection de son Art.

L’homme extérieur, si l’on peut s’exprimer ainsi, éprouve à tout instant dans ses formes, par le moyen de ses ressorts & de ses muvemens internes, des modifications frappantes. Il faut que le Peintre connoisse au moins les causes les plus prochaines des effets qu’il représente.

C’est à l’Anatomiste éclairé, ou aux bons ouvrages qu’on a donnés à cet effet, que l’Artiste doit s’adresser. Les ouvrages le préparent, les observations sur la nature dirigées par l’Anatomiste, l’éclairent, & le Savant, à son tour, reçoit du Dessinateur instruit les secours dont il a besoin, pour faire connoître, à l’aide du crayon, du pinceau & du burin, les découvertes qu’il fait & qu’il desire transmettre à l’esprit d’une manière sensible, en les imprimant, pour ainsi dire, dans les organes de la vue.

C’est ainsi que les Sciences & les Arts, ou plutôt ceux qui les cultivent, doivent, pour leur mutuel intérêt, s’approcher, se secourir ; ils doivent sur-tout éviter réciproquement ces excès de bonne opinion ou plutôt de prévention pour l’objet dont ils s’occupent, qui les concentrent, les isolent, pour ainsi dire, & les rendent quelquefois injustes, peu secourables & quelquefois même dédaigneux les uns à l’égard des autres.

La communication & la bienveillance sont les conseils qu’il faut sans cesse donner aux Savans & aux Artistes pour leur gloire & leur avantage, comme on doit prêcher sans se lasser, l’union & la charité aux hommes.

S’il arrive quelquefois au Géomètre ou au profond Anatomiste de sourire ironiquement, ou s’il a la foiblesse de s’offenser lorsqu’il entend avancer que sa science n’est qu’une partie de l’Art du Peintre ; si le Physicien, le Moraliste, l’Historien, l’Antiquaire sont affectés du même dédain à la même occasion, qu’ils refléchissent que leur animadversion n’a pour principe qu’une énonciation incomplette, qu’un défaut de s’expliquer entièrement & de s’entendre. Eh ! combien cette cause ne produit-elle pas parmi les hommes, non-seulement d’injustes mépris, de querelles & de hai-


nes ; mais de désordres & de guerres plus funestes encore ?

Rien n’est si commun, faute de connoissances assez étendues, ou par légereté, ou souvent pour s’exprimer en moins de mots, que d’altérer les idées qu’on se communique, de manière à les faire paroître fausses. Lorsque d’après ces négligences, il s’établit des antipathies parmi les hommes vraiment éclairés, la barbarie, toujours aux aguets, triomphe, comme nous voyons l’ignorance se réjouir & s’énorgueillir platement des querelles trop souvent scandaleuses & des divisions si mal-adroites des Gens de Lettres.

Revenons à l’anatomie. C’est de la connoissance des os & des deux premières couches des muscles que dépendent en grande partie la pondération, le mouvement & l’expression. Par cette raison, l’anatomie est une des bases positives de la Peinture. Elle se lie naturellement à la pondération.

L’anatomie & la perspective sont des Sciences exactes ; elles s’appuyent sur des démonstrations : elles ont pour objet des vérités démontrées.

Lorsque, dans les Ecoles, dans les atteliers & dans l’opinion publique, ces Sciences ne seront plus considérées comme fondemens indispensables de la Peinture, on pourra prononcer hardiment que cet Art & les parties qui en dépendent sont menacés d’une prochaine décadence.

Les dispositions, le goût, la facilité d’imiter ne suppléent pas seuls à une étude raisonnée. Ces dons de la Nature produisent le plus souvent des imitations incomplettes & ne donne aux Artistes que des routines plus ou moins heureuses. Cependant comme presque tous ceux qui jouissent des ouvrages de Peinture ne sont instruits ni de l’anatomie, ni de la perspective, ils applaudissent trop souvent au hazard à des ouvrages dans lesquels ces sciences sont absolument négligées, & les Artistes, par ces succès peu mérités, se croyent autorisés à s’éviter des études qui leur semblent sèches & peu agréables. « Que m’importe, peuvent-ils dire, de rendre bien précisément l’effet de tous les muscles & de les mettre très-exactement à leur juste place, de connoître les changemens qu’ils éprouvent dans les mouvemens du corps & par le mouvement des passions ? Qui sentira ce mérite, hors quelques Anatomistes, qui ne jetteront peut-être jamais les regards sur mes ouvrages ? »

En effet, pour le plus grand nombre des hommes, une figure peinte ou sculptée, dans laquelle on apperçoit des muscles & quelques veines, est une figure savamment exécutée ; mais les chefs-d’œuvre en Peinture & en Sculpture, sont, quant aux parties des Sciences, inévitablement appréciés par des hommes instruits, & par le petit nombre des Artistes qui ont acquis les connoissances qu’ils doivent posséder. Le Public, tôt ou tard, adopte leur jugement, & ce jugement reste. D’ailleurs,