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ART ART 33


différens accens, les élèvent vers les cieux, les font entendre, les communiquent à un grand nombre d’hommes assemblés, & les leur font adopter, si l’on peut parler ainsi, à l’unisson ; par l’Architecture, qui donne lieu de réunir convenablement les hommes remplis des mêmes sentimens, & contribue par des proportions & des formes à entretenir en eux les impressions & les sentimens religieux, objets de leur réunion ; par la Sculpture & la Peinture enfin, propres à soumettre aux regards, pour les mieux imprimer dans l’ame, tous les objets positifs ou figurés du culte.

Ces premières notions, étendues à l’heroïsme & au patriotisme, n’en acquerront que plus d’importance, & si elles paroissent fondées, les chefs de quelque État civilisé que ce soit, doivent regarder essentiellement les Arts libéraux, non comme objets d’agrément & de luxe, mais primordialement comme langages des plus nobles impressions & des sentimens les plus élevés dont les hommes soient susceptibles. Il est donc bien plus intéressant qu’on ne seroit induit à le penser, d’après les idées vulgaires, que ces Arts soient soutenus par des soins éclairés, & nous verrons combien il l’est encore que, perfectionnés dans leurs plus importantes destinations, ils soient dirigés en raison de leur utilité, jusques dans les moindres usages, par ceux dont le privilége honorable est d’exercer ces nobles soins.

En effet, si la perfection de ces langages est propre à exprimer, à communiquer, à inspirer avec force & dignité les sentimens religieux, héroïques & patriotiques, si les discours, les accens, les représentations excitent & nourrissent l’émulation & l’enthousiasme, l’imperfection des Arts ne peut que les altérer ou les dégrader, en donnant lieu au ridicule & en excitant l’ironie, impressions absolument contraires & par conséquent nuisibles au but des grandes institutions ; car la dérision, sentiment vulgaire & souvent grossier, sur-tout s’il est excité par la seule imperfection des formes matérielles, ne se communique que trop aisément à l’esprit, parce qu’il flatte son orgueil ou sa malignité, & qu’il le gêne moins que le respect. D’ailleurs, qui ne sait que les impressions des sens ont sur la plus grande partie des hommes, un ascendant instinctuel, supérieur à celui de la raison & souvent au sentiment même ?

Il est donc, en effet, de la plus grande importance, pour le soutien des grandes institutions, que lorsqu’elles tombent sous les sens elles soient, le moins qu’il est possible, exposées à ce qui peut les dégrader, & il est d’un avantage indubitable pour ceux qu’on suppose tout à la fois ministres du premier des Êtres, exemples des vertus héroïques & représentans de la patrie, de porter à la perfection les langages de ces grandes institutions avec lesquelles le rang qu’ils occupent les identifie.


Si, descendant aux usages moins élevés des Arts libéraux, on s’arrête aux jouissances agréables dont ils sont les inépuisables sources, ne doit-on pas penser encore que ceux qui, revêtus de l’autorité & de la majesté, deviennent premiers Magistrats des mœurs, modérateurs des opinions & même des goûts publics, sont tenus, par ces nobles fonctions, de diriger pour l’avantage des hommes qu’ils gouvernent les amusemens même de l’oisiveté à ce qui est convenable, d’autant que la perfection des plaisirs naît de leur accord avec toutes les convenances, soutiens de l’ordre sans lequel il ne peut exister de société heureuse & agréable ?

Si les chefs de nos sociétés modernes descendent enfin jusqu’aux dernières branches des Arts en ne perdant point de vue la chaîne que je viens de développer, ils appercevront que les industries propres aux exportations, je veux dire les manufactures, les professions où le méchanique est ennobli par le libéral, les objets usuels utiles, & ceux enfin qui composent ce superflu que la richesse des États rend nécessaire & même indispensable, ne peuvent conserver une supériorité avantageuse, si la sublimité des premiers genres, rejaillissant sur les seconds pour en augmenter l’agrément de concert avec les convenances, ne se répand pas jusques sur les moindres, à titre de bon goût.

Voilà quelques notions élémentaires sur la connoissance réelle des Beaux-Arts, que je croirois pouvoir convenir aux chefs des sociétés. Passons à leur puissance à cet égard.

Il est facile de sentir qu’elle ne sauroit être cœrcitive. Les Arts libéraux sont libres, comme l’annonce leur dénomination. La force ne peut pas plus les contraindre, qu’elle ne peut contraindre la pensée ; j’ajouterai qu’ils sont plus indépendans, car le génie qui, dans les Arts, est la pensée dans sa plus forte énergie & sa plus grande élévation, le génie enfin dont le droit est de maîtriser les sens & de soumettre les ames, a plus d’armes contre l’esclavage que la pensée, prise dans le sens ordinaire.

Les dépositaires de l’autorité n’auroient-ils donc aucun ascendant sur les Arts ? ils ont trois moyens puissans, non de les contraindre, mais de les savoriser :

L’insinuation par des discours & quelquefois par des mots, auxquels un sens juste dans un rang élevé, assure un effet plus prompt, & souvent plus efficace que la loi même.

L’exemple, moyen décisif quand nos chefs le donnent, je veux dire, la manière dont ils emploient eux-mêmes les Arts.

Enfin, le soin d’offrir à la Nation le plus d’excellens modèles nationaux ou étrangers qu’il est possible, & d’inspirer, par l’estime dont ils les honorent, la préférence qu’on doit leur donner.

Comme il est un Art qui apprend à pratiquer


Beaux- Arts. Tome I. E