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cine, Voltaire, se montrent sans cesse sur nos Théâtres pour en imposer au mauvais goût ; que leurs chefs-d’œuvre impriment un tel respect qu’il ne soit pas plus permis de les altérer que les belles statues, soit par des restaurations indiscrettes, soit par des représentations négligées, sortes de familiarités qui conduisent infailliblement au mépris ; mais pour que le mauvais goût, sans cesse attentif à se prévaloir de la faim dévorante qu’ont les hommes pour les nouveautés, ne se permette pas ces profanations, il est surtout nécessaire que le respect dû aux chefs-d’œuvre soit établi & soutenu par l’exemple de ceux à qui il convient de le donner.

Pourquoi, d’après ces principes, ne verroit-on pas & devant eux & devant le Public, se reproduire quelquefois dans les chaires ces éloquentes compositions oratoires, condamnées, depuis la mort des Fléchier, des Bourdaloue, des Bossuet, des Massillon, à languir dans les bibliothèques, ou bien à être parcourues des yeux seulement, & à rester ainsi privées de l’accent, de l’action, de la vie que de froids lecteurs ne peuvent leur rendre ? Pourquoi nos temples, au lieu de retentir de psalmodies barbares, monotones, discordantes, ne résonneroient-ils pas d’une harmonie pure, touchante & digne de la première des institutions ? Pourquoi, parmi nos Arts, qui sont frères, quelques-uns d’entre eux, tel que celui dont je viens de parler, sont-ils privés d’École Nationale, moyen important, qui, joint aux premiers, ne peut-être employé convenablement que par des soins & des bienfaits ; seule autorité que reconnoisse le génie. Ainsi les chefs des États florissans peuvent soutenir, animer & élever jusqu’à la sublimité ces langages artiels, qui les honorent d’autant mieux qu’ils leur doivent plus de perfections & de reconnoissance.

Il est heureux pour moi de parler de ces moyens dont la puissance n’est qu’une douce & agréable persuasion, au moment où un Prince, voué par caractère & par penchant à tout ce qui est juste & convenable, en fait, pour l’avantage des Arts, l’usage le plus éclatant[1]. Il ne m’est pas moins doux, en mêlant un sentiment patriotique de reconnoissance à ceux de l’amitié, d’être assuré qu’on ne pourra citer ce monument, sans joindre à l’existence d’un bienfait national le souvenir des soins du Ministre[2] zèlé, qui, autorisé à élever des statues aux hommes célèbres de sa patrie, l’est encore à consacrer un Temple où l’on pourra désormais les honorer.

Prêt enfin à passer à d’autres notions, je crois


avantageux de rappeller à la mémoire de mes lecteurs un Discours[3], qui, embrassant une bien plus grande étendue d’idées élémentaires, se trouve pour jamais consacré dans la première Collection Encyclopédique dont notre Littérature ait été enrichie. Ne seroit-ce pas en effet à ce tableau si bien ordonné des connoissances humaines qu’il appartiendroit de servir de base à toute institution ?

Si je m’étendois sur le mérite d’un Ouvrage aussi vaste en aussi peu d’espace ; si je disois que la postérité y retrouvera, comme dans une carte parfaite, les grandes routes des vérités que les hommes semblent condamnés à perdre de période en période, pour les chercher ensuite & les retrouver si difficilement, je n’aurois certainement pas à craindre qu’on attribuât de si justes témoignages d’estime au sentiment ancien & tendre qui m’attache à l’auteur ; mais les bornes où je dois me restreindre en prescrivent à mes justes éloges.

Elles me rappellent aussi aux idées élémentaires destinées à ceux qui ne voyent dans nos Arts que des objets de délassement, des jouissances agréables & trop souvent un luxe presqu’absolument personnel.

Si, comme je crois l’avoir fait connoître, il importe aux premiers des sociétés civilisées de soutenir & d’encourager les Arts libéraux, seroit-il moins intéressant, seroit-il indifférent pour ceux qui s’en approprient le plus particulièrement les jouissances, de contribuer à leur perfection ? Eh ! quel est celui d’entre nous qui personnellement n’a pas conçu & désiré dans le cours de sa vie, le plaisir, disons le charme attaché aux représentations de ce qui nous intéresse, ou de ce que le sentiment nous rend cher ? Quel est celui qui, secondé dans le projet de ces jouissances par les plus renommés Artistes de son temps, ne les a pas désirés plus habiles encore ? Plus les sentimens d’où naissent ces desirs, sont nobles & élevés, sont respectables ou tendres, plus on souffre de les voir incomplettement remplis ; mais si ces ouvrages destinés aux jouissances sentimentales, donnoient lieu, par une exécution trop imparfaite, à la dérision, n’éprouverions nous pas une peine égale à celle que nous feroit l’interprète mal-habile ou ridicule, chargé de nos plus chers intérêts ? Les affections qui nous sont inspirées par la nature ; la tendresse paternelle, la piété filiale, l’amour, l’amitié, l’honneur, la reconnoissance, la générosité, sont à l’égard de chacun de nous ce que les institutions religieuses, le patriotisme & l’héroïsme sont à l’égard des sociètés dont nous faisons partie. Ces sentimens établissent des cultes semblables à ceux par lesquels les Anciens honoroient dans leurs foyers les Divi-

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  1. * La réunion des ouvrages de Peinture & de Sculpture, la plus nombreuse qui ait jamais existé, & qui, destinée à être publique, comme la Bibliothèque Royale, occupera dans le palais du Prince, une galerie de 1400 pieds de longueur.
  2. ** M. le Comte d’Angiviller.
  3. * Le Discours préliminaire de la première Encyclopédie par M. d'Alembert.
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