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38 ART ART

« Or s’expliquer clairement, pout un tableau, c’est offrir les objets imités, de manière que vous ne puissiez ni vous tromper ni être arrêté par des incorrections & des obscurités. Bien raisonner en Peinture, c’est faire naître dans l’ordre qu’elles doivent avoir, les idées qui sont convenables au sujet dont elle parle, d’après une intention suivie. Enfin, plaire ou attacher, relativement au Peintre, c’est présenter des objets intéressans, ou, tout au moins, choisis, & s’ils ne sont ni fort intéressans, ni d’un choix distingué, c’est les offrir au moins avec les agrémens qui peuvent leur être propres, & non avec les disgraces dont ils seroient susceptibles. »

« Il ne faut donc pas que vous exigiez, en interrogeant une représentation d’objets communs, qu’elle attache votre esprit ou qu’elle touche votre cœur, & croyez que ceux qui mettent si souvent en jeu l’esprit & le cœur, les usent tellement l’un & l’autre qu’il ne leur en reste souvent que des souvenirs. Si les représentations dont je parle, rappellent fidèlement à vos yeux & à votre mémoire des objets qui, comme tous ceux de la nature, ont leur perfection, leur beauté & souvent même leur grace, souriez à cette magie de l’Art ; mais n’enviez pas, & sur-tout ne jouez pas des enthousiasmes qui seroient déplacés, quand même ils seroient vrais. »

« Quant aux objets qui sont de nature à attacher & à toucher vivement, n’exigez pas non plus une expression égale à la nature même ; car alors vous desireriez que l’Art fût la nature, & l’Art ne peut en opérer que la représentation. Une glace fidèle ne pourroit pas même satisfaire votre desir exagéré ; car bien que les images qu’elle représente soient ce qui approche le plus de la vérité, elles ne sont cependant, pour me servir d’un terme de l’Art, que la contr’épreuve de la nature. »

« Observez cette nature animée, vous verrez l’homme ému, lorsque ses émotions sont vives, passer rapidement & instantanément de nuances en nuances sans s’arrêter à une seule ; mais la représentation peinte, qui est immobile & immuable, ne peut vous présenter que celle des nuances instantanées que le Peintre a préférée, & son pouvoir ne s’étend qu’à les choisir. Je sais que l’expression est la partie de la Peinture la plus recherchée par ceux de votre classe, qui ont plus d’esprit ou de sentiment que de lumières sur les moyens & les procédés de l’Art ; mais cette partie, la plus distinguée sans doute de toutes celles de la Peinture, est dépendante de toutes les autres. L’expression est l’ame de la représentation humaine, mais l’ame ne se montre dans la nature même qu’au moyen de parties & de formes corporelles, qui doivent être propres à


recevoir ses impressions. Le personnages d’un tableau pour paroître affectés de quelqu’impression, de quelque passion que ce soit, doivent, avant tout, se montrer conformés comme ils doivent l’être. Leurs traits, leur maintien, leurs gestes doivent parler sans doute ; mais ces traits ne parlent point ou s’expriment mal, lorsqu’ils ne sont pas bien à leur place ; ce qui rend indispensable au Peintre la connoissance anatomique du corps humain & l’habitude d’en représenter tous les aspects. »

« Les gestes doivent parler aussi sans doute ; mais la pondération ou l’équilibre que tous les membres observent dans les moindres mouvemens, par une loi immuable de la nature, n’exigent-ils pas de l’Artiste l’étude de cette science ? Tout ce qui contribue à l’expression que vous desirez principalement dans les tableaux a donc droit à votre estime, d’après de très-simples réflexions. »

« Il ne vous est pas nécessaire d’entrer dans les détails de l’Art ; il vous suffit de les entrevoir ou d’employer quelques momens, non de ceux qui appartiennent à vos occupations, mais à vos loisirs, pour voir dessiner, ébaucher & peindre. Alors vous connoîtrez, autant qu’il vous est nécessaire, que dans la Peinture il est un Art pratique fondé sur des connoissances acquises auxquelles vous accorderez certainement un degré d’estime. Vous ferez alors réflexion que si vous exigez principalement des personnages du Théâtre l’expression, c’est que la nature est chargée presque de tout le reste ; les personnages d’un tableau sont bien, à la vérité, des acteurs d’une scène pittoresque ; mais le Peintre est obligé de les créer, de les organiser, comme il est obligé de les faire jouer ; vous devez donc partager votre estime pour lui entre le don merveilleux de créer & celui d’animer. »

« Ne seroit-ce rien d’ailleurs, je m’en rapporte à votre raison, que le mérite de feindre le relief des corps sur une surface platte ; de faire naître, par l’artifice des couleurs, l’idée de la profondeur sur une table ou sur une planche, dont la surface est lisse ; de faire croire que l’air circule autour des objets qu’on y représente ; de rappeller l’idée des élémens, les illusions de la perspective, effets, sans doute, moins intéressans que l’expression ; mais qui, une fois connus & établis, méritent de vous une juste appréciation, une indulgence nécessaire, & de ne pas exiger trop exclusivement de l’Art la perfection d’une partie en faisant peu d’estime de toutes les autres. »

Ces objets élémentaires, dont je présente ici l’essai, comporteroient, comme on l’apperçoit aisément, un Ouvrage, & je dois me borner à un article. Je m’arrête donc, en ne me permettant plus que quelques mots relatifs à un autre ordre,