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BALANCE, (subst. fém.) Balance des Peintres. Une balance est l’instrument, qui perfectionné par l’industrie, fait apprécier, avec la plus scrupuleuse exactitude, les pesanteurs relatives & différentielles des corps.

L’homme cherche à appliquer sans cesse la précision satisfaisante des industries & des procédés qui lui réussissent, aux opérations purement spirituelles de son intelligence, & c’est d’après ces idées, transportées du physique au moral, qu’il croit pouvoir peser les vertus, les qualités & les défauts avec autant d’exactitude que les substances matérielles qu’il soumet à ses épreuves.

Mais s’il se met lui-même dans sa balance, comme il fabrique ses poids, on n’ajoute pas une foi bien entière à son appréciation. Prétend-il peser les autres ? Même inconvénient. Aucun poids étalonné : point de tribunal autorisé où les vivans & les morts puissent réclamer contre les faux poids & les fausses mesures. D’où il résulte une différence assez importante, à ce qu’il me semble, entre l’opération de l’industrie & l’opération purement spirituelle. Cependant l’usage de celle-ci devient plus générale que jamais, & l’on peut avancer que la profession d’apprécier les opinions, les sentimens, les principes, les gouvernemens, les intérêts publics ou particuliers, les révolutions, les hommes enfin, leurs réputations, leurs qualités, leurs talens & leurs ouvrages, sembleroit, à la manière dont on en use, tellement perfectionnée à l’aide de ces poids spirituels qu’on nomme analyses, parallèles, comparaisons, antithèses, & de tant d’autres procédés ingénieux, qu’on pourroit croire qu’il n’y a plus rien d’incertain & rien de nouveau à inventer à cet égard ; cependant un homme recommandable dans l’Art dont je m’occupe, De Piles avoit trouvé moyen de rapprocher bien plus que ne font nos appréciateurs modernes, la balance morale de la balance physique.

Pour rendre sensibles les différens mérites de plusieurs habiles Artistes, il avoit conçu leurs principales qualités artielles, comme susceptibles d’être opposées à des poids fictifs, représentant les parties constitutionnelles de la Peinture. Comment nos appréciateurs & nos imitateurs si multipliés n’ont-ils pas adopté cette méthode dont je vais rendre compte ; & comment n’avons-nous pas encore pour les Arts de gouverner, d’administrer, de faire la guerre, &c. indépendamment de tous les autres, des balances construites sur le modèle de la Balance des Peintres de De Piles ?

Il ne s’agiroit, que de bien distinguer, & ce seroit la chose la plus facile sans doute dans un siècle aussi spirituel que le nôtre, les parties constitutionnelles de ces grands Arts. Lorsqu’on les auroit soumises à des divisions, on auroit la


balance des Souverains, celle des Administrateurs & des Généraux. Peut-être ne faudroit-il que se rapprocher même des distinctions que De Piles va nous présenter ; car les parties constitutionnelles dont on auroit besoin pourroient s’assimiler à celles qu’il distingue à l’égard du Peintre, le génie, par exemple, à la composition ; les qualités exécutrices au dessin, l’emploi des moyens au coloris, & la moralité à l’expression ; d’autant mieux que De Piles regarde l’expression en Peinture, comme la pensée du cœur humain.

Mais si je suis autorisé par la nature de cet Ouvrage, à faire mention du jeu d’esprit d’un homme dont la réputation est faite, je ne dois pas m’en permettre un qu’on me pardonneroit plus difficilement. Je laisse donc toute réflexion étrangère pour faire expliquer sa balance pittoresque à mon Auteur, si recommandable d’ailleurs par les lumières & les préceptes que contiennent ses ouvrages, dont on ne peut trop recommander la lecture aux Artistes :

La Balance des Peintres

« Quelques personnes ayant souhaité de savoir le degré de mérite de chaque Peintre d’une réputation établie, m’ont prié de faire une balance dans laquelle je misse d’un côté le nom du Peintre & les parties les plus essentielles de son Art dans le degré qu’il les a possédées, & de l’autre côté, le poids du mérite qui leur convient ; ensorte que, ramassant toutes les parties comme elles se trouvent dans les ouvrages de chaque Peintre, on puisse juger combien pèse le tout. »

« J’ai fait cet Essai plutôt pour me divertir que pour attirer les autres dans mon sentiment. Les jugemens sont trop différens sur cette matière, pour croire qu’on ait tout seul raison. Tout ce que je demande en ceci, c’est qu’on me donne la liberté d’exposer ce que je pense, comme je la laisse aux autres de conserver l’idée qu’ils pourroient avoir toute différente de la mienne. »

« Voici quel est l’usage que je fais de ma balance : Je divise mon poids en vingt degrés ; le vingtième est le plus haut, & je l’attribue à la souveraine perfection que nous ne connoissons pas dans toute son étendue ; le dixneuvième est pour le plus haut degré de perfection que nous connoissons, auquel personne néanmoins n’est encore arrivé ; & le dixhuitième est pour ceux qui, à notre jugement, ont le plus approché de la perfection, comme les plus bas chiffres sont pour ceux qui en paroissent les plus éloignés. »

« Je n’ai porté mon jugement que sur les Pein-