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C’est enfin cette signification que quelques Artistes célèbres, ainsi que quelques Auteurs, ont cherché à développer, en écrivant sur les Arts.

Ils ont conçu plus ou moins clairement une perfection idéale. Remplis de leurs idées, ils ont cherché à les transmettre même à ceux qui ne sont point initiés dans les mystères des Arts ; mais la plupart des explications, manquant d’une clarté difficile à obtenir en effet, lorsqu’il s’agit de perfections abstraites, sont à la portée de très-peu d’Artistes, & ne sont point comprises par ceux qui n’exercent point les Arts.

Il est arrivé cependant que les charmes d’une élocution animée ou séduisante, & la chaleur communicative de l’enthousiasme, ont fait imaginer quelquefois qu’on voyoit assez clairement ce qu’on entrevoyoit à peine, & que l’on concevoit ce dont on ne pouvoit cependant pas bien transmettre l’idée à d’autres ; il reste donc encore des obscurités sur ce que l’on doit entendre généralement par le beau idéal, & je vais essayer de m’exprimer, sur cet objet, de manière à être compris par ceux qui pratiquent & par ceux qui ne pratiquent pas les Arts.

Le beau idéal est aujourd’hui, à notre égard, la réunion des plus grandes perfections que puisent offrir partiellement certains individus choisis.

Si l’on veut concevoir le beau idéal d’une manière plus relative aux idées qu’avoient les Artistes Grecs vers le siècle de Péricsès, il faut imaginer le beau tel qu’il existeroit, si la Nature formoit ses productions & l’homme sur-tout, avec le choix le plus exquis, avec toutes les perfections générales & particulières dont se trouvent susceptibles 1es formes & les mouvemens qui lui sont prescrits, en y joignant les relations visibles que ces formes & ces mouvemens peuvent avoir avec les affections sentimentales les plus spirituelles, les plus élevées & les plus parfaites.

Je vais rendre cette explication plus intelligible en la developpant.

On distingue trois sortes d’imitations dans les Arts du dessin ; l’imitation servile des objets tels qu’ils s’offrent à l’imitateur ; l’imitation des objets que l’imitateur choisit & préfère ; enfin l’imitation qui réunit les parties les plus parfaites d’un grand nombre d’objets choisis.

La première de ces imitations (qui certainement est la moins idéale de toutes) est celle par laquelle l’Art commence toujours à s’essayer.

La seconde appartient aux progrès de l’Art.

La troisième est un degré suréminent auquel l’Art ne peut être élevé & soutenu que par le concours d’un nombre de causes actives & puissantes dont j’ai déja parlé dans le Discours Préliminaire & à l’article ART, mais qu’il est indispensable que je rappelle ici en peu de mots.

Ces causes sont une température favorable aux développemens physiques & moraux ; l’art de transmettre, à l’aide de l’écriture, des idées & des lumières & l’ascendant des grandes institutions, ascendant prodigieux, puisqu’il élève l’homme au-dessus de lui-même, c’est-à-dire de la personnalité, & qu’il porte, à l’aide de l’enthousiasme & de l’amour de la gloire, les vertus, ainsi que les Arts, à des perfections sublimes & en quelque façon surnaturelles.

Ces sentimens se sont démontrés, parmi les Grecs, à l’occasion du patriotisme & de l’héroïsme. Une Mythologie favorable aux Arts & propre à se lier intimement avec les institutions que je viens de nommer, rapprochoit les Héros des Dieux, &, par une destinée idéale, faisoit passer des mortels à cette nature qui est si élevée au-dessus d’eux.

Les Arts nourris de ces idées, les Artistes occupés sans cesse. à représenter des Dieux & des Héros, se trouvoient entraînés à exprimer, sous les apparences les plus parfaites, des formes humaines, pour ainsi dire divinisées, la perfection sublime que nous nommons beau-idéal.

Ce genre de beauté n’ayant plus les mêmes bases, ne peut, comme on le voit, nous inspirer géralement les mêmes idées, & c’est de-là que naît la difficulté d’atteindre à la même perfection que les Anciens, & de s’exprimer sur cet objet de manière à être entendu de tout le monde.

Je dois, relativement à la forme de cet ouvrage, me borner à ces explications sommaires sur le beau idéal. Décrire éloquemment les impressions qu’il produit, est inutile aux ames éclairées Qu’elles éprouvent une seule de ces impressions, bientôt elles les cornoîtront toutes. Car un sentiment instruit plus que toutes les exclamations, les descriptions & les éloges ; & ceux qui n’auraient pas dans leur ame le germe des idées que je viens d’exposer, ne seroient entraînés par l’éloquence du discours que comme des aveugles qu’on fait courir, & qui s’arrêtent aussitôt qu’on ne les contraint plus de marcher. Je finirai par adresser, suivant ma coutume, aux Artistes & sur-tout à la jeunesse des Arts, quelques observations raisonnées qui peuvent leur être utiles.

Ne vous livrez pas, dans vos premières études, à des idées trop abstraites sur la perfection ; elles nuiroient à de véritables & solides progrès, parce que, dans la jeunesse, l’imagination n’est pas encore en état de produire des fruits parfaitement organises. Une surabondance précoce peut épuiser le génie naissant, comme des abus prématurés de nos forces altèrent notre constitution.

Vous perdrez, en poursuivant des beautés trop difficiles à saisir, un temps précieux pour les études méthodiques qui vous sont indispensables. Elles doivent marcher les premières ; enfin vous risquez de prendre, en cherchant l’idéal avant le positif ; des routes où vous resteriez égarés pour toujours.

Si vous observez donc, dans vos premiers de-