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parmi des hommes rassemblés & civilisés, moins usités qu’ils ne devroient naturellement l’être ; dès-lors l’idée qu’ils auront de la beauté ne sera plus si intimement liée à cette relation des proportions des membres avec leur usage primitif. Or, plus un peuple approche de la molesse, plus cette relation des proportions du corps avec les mouvemens simples diminue ; parce que l’industrie perfectionnée supplée à une infinité de mouvemens, & fait que ces mouvemens sont moins nécessaires ou moins répétés.

Dans cette Nation que je suppose, il se trouvera, je crois, entre les habitans de la capitale & ceux des campagnes un peu éloignées sur-tout, une différence assez remarquable.

Certains défauts de conformation seront moins apperçus parmi les citoyens, que parmi les paysans, parce que l’art de cacher ces défauts est établi chez les premiers, & que l’industrie parvient à les déguiser.

Les mouvemens des paysans seront plus fréquemment relatifs à leur conformation, qui en éprouvera quelques modifications.

Les habitans de la campagne se servent peu, en général, du mot de beauté ; mais ils distinguent très-bien, ils louent & ils estiment. La force, la souplesse, l’agileté, & par conséquent l’espèce d’idée de beauté ou de perfection qu’ils ont, tient encore chez eux à la conformation relative aux actions qui sont propres aux hommes.

Enfin, si dans la Capitale & chez un peuple civilisé, on porte des vêtemens qui ne laissent pas appercevoir les proportions & les emboîtemens des membres ; si les habillemens des femmes ne laissent apparens que la tête, une petite portion du sein, des bras & les extrêmités des pieds, ce mot beauté ne signifiera bientôt plus que la meilleure conformation de la tête, du sein, du bras & du pied.

Or, tous les effets dont je viens de parler, sont ordinairement la suite de l’industrie très-perfectionnée, du luxe & des conventions par le luxe ; & conséquemment ce qu’on entend par la beauté, en éprouve de relatifs.

Les exercices, les divertissemens tels que la chasse, la danse, les jeux d’adresse, entretiennent les idées de perfection, par rapport aux hommes, sur-tout lorsque la molesse ne les exclut pas. Les spectacles aideroient peut-être à les conserver, si la nature n’y étoit pas trop souvent altérée par l’affectation & quelquefois par les conventions les plus folles.

L’idée primitive de la beauté se perdra-t-elle donc totalement dans les nations civilisées ? Non. Les Arts la conservent.

La Sculpture & la Peinture ont servi aux Grecs


à étudier, à connoître & à fixer la beauté des corps[1]. Ils ont eu ces idées plus développées, plus senties & par conséquent plus évidentes que nous ne les avons, à cause des jeux, des combats & des exercices qui offroient à leurs yeux très-fréquemment le rapport des proportions des parties, avec l’usage de ces parties.

Les Grecs, destinés à jouir & à décider des Arts, étoient instruits à sentir & à juger, en même-tems que leurs Artistes l’étoient a choisir & à imiter.

Leurs statues sont devenues des règles : on les a copiées, on les a multipliées : les métaux & les marbres nous les ont conservées. La Peinture s’est réglée sur ces modèles de vérité. Nos Artistes les comparent encore tous les jours à la nature dévoilée dans leurs atteliers, & c’est ainsi que, par le ministère des Arts, la méditation & l’étude réfléchie rendent aux hommes l’image de la beauté ; tandis que le luxe & la corruption des mœurs leur en ôte, en quelque façon, la réalité.

Pour revenir actuellement sur nos pas, je ferai observer que les détails des parties ne peuvent avoir à leur tour de beauté reconnue qu’autant que leurs proportions & leurs dimensions se rapportent à leurs usages ; ce qui rend premièrement raison de ce que plusieurs parties du corps humain n’ont pas de beautés bien décidées, ou ne semblent en avoir que d’arbitraires.

Chez les Nations dont le climat, les mœurs & les usages permettent aux individus de se montrer plus découverts que nous ne le sommes, toutes les parties devroient avoir une beauté plus universellement convenue ; mais chez ces Nations, si elles ne sont pas éclairées, les notions générales, les connoissances méditées, les observations, les Arts enfin, & une infinité d’idées accessoires qui en dérivent, n’existent point ou sont très-imparfaits. La Grèce, à laquelle on est ramenê sans cesse en traitant des Arts, offroit, comme je l’ai dit, la nudité des corps, sinon dans l’usage ordinaire, au moins dans des exercices, des jeux & des spectacles qui se reproduisoient sans cesse. Les exercices & les jeux, mettoient en mouvement aux yeux du Public les parties, pour accomplir le mieux possible différentes actions, ils donnoient lieu de comparer les proportions & les dimensions dans leurs rapports avec les succès de ces actions, auxquelles la perfection de ces rapports contribuoient.

Aussi les Grecs ont-ils établi, non-seulement la beauté générale du corps humain, mais la

  1. * La véritable Poësie, celle qui est conforme à la nature, celle qui réunit l’admiration des différens siècles, contribue, ainsi que la Sculpture & la Peinture, à conserver les idées simples & primitives.