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Je ne dirai qu’un mot de l’abus que le brocantage, l’intérêt des marchands, & souvent la vanite des curieux font de ce terme distinctif. Le Brocanteur s’en sert souvent pour allumer le désir des curieux. La vanité de l’amateur s’enflamme lorsque le marchand employe le mot capital, & son desir a moins pour objet de jouir d’un tableau excellent & de s’instruire en l’étudiant, que de posséder quelque chose que ne possèdent point les Amateurs avec qui il combat de prétentions. Certainement, un très-bon tableau d’un grand maître est préférable à un tableau de moindre mérite ; mais cette assertion suppose que l’Amateur ait assez de lumières pour sentir réellement les beautés supérieures qui méritent à un tableau le nom de capital ; malheureusement pour la plûpart d’entr’eux, le tableau capital n’est que le plus cher, le plus grand, le plus chargé de figures, souvent le mieux verni, & enfin celui qui a tenu bien ou mal-à-propos sa place dans les cabinets les plus connus, dont les Catalogues sont pour certains ouvrages des titres qu’on peut contester comme un grand nombre de titres de noblesse. Un Amateur instruit, & surtout un Artiste, voit souvent dans un tableau qui n’a pas eu ces distinctions, quelquefois même dans un fragment du meilleur temps d’un maître, un ouvrage plus réellement capital.

Un ouvrage capital d’un maître est donc, pour parler avec justesse, celui que l’Artiste distingué a composé dans le genre auquel il a été le plus véritablement appellé par la nature, celui qu’il a fait dans l’instant de la force de son talent, celui qu’il a senti plus de plaisir à faire. Il est cependant juste d’joûter à cela la conservation, sans laquelle on jouit très-imparfaitement de beautés qu’on ne fait qu’entrevoir.

Il est certain que ce sont des ouvrages pareils à celui que je viens de désigner, qu’on doit appeller capitaux ; que ce sont ceux-là dont un Amateur attaché à la réputation de sa collection, a quelque droit de s’enorgueillir, & mieux que tout cela, ceux dans lesquels & l’Amateur & l’Artiste, peuvent s’instruire en jouissant.

CARACTÈRE. On distingue dans chaque objet visible des caractères généraux & des caractères particuliers.

Le caractère général d’un objet consiste (relativement au Peintre qui veut l’imiter) dans les formes extérieures les plus apparentes au premier coup d’œil.

Mais l’Artiste, qui ne s’attacheroit en peignant qu’à ces seuls caractères, ressembleroit à l’homme qui n’emploie en parlant que des termes génériques. Il se rapprocheroit encore de celui qui, sans aucune notion de l’art d’imiter, entreprend de tracer avec du charbon sur une muraille, des maisons, des chevaux, ou des figures humaines.


La plûpart des jeunes Elèves, dans les premiers momens de leur noviciat, pourroient se reconnoître dans ces deux comparaisons que je viens de présenter ; car n’ayant encore qu’une idée très-vague de l’imitation, ils ne peuvent avoir pour but que les caractères généraux de ce qu’ils veulent représenter.

Lorsque les Arts du Dessin, de la Sculpture & de la Peinture sont au berceau ; C’est aux caractères les plus généraux que s’attachent ceux qui les exercent ; & leurs chefs-d’œuvres consistent à faire distinguer, dans les représentations qu’ils entreprennent, un homme d’avec une femme, & un cheval d’avec un bœuf.

Lorsque les hommes qui imitent joignent à l’idée des caractères généraux celle des caractères particuliers, ils commencent à faire un pas vers les progrès de l’Art qu’ils exercent ; & ce pas est aussi important que celui que font vers le progrès de l’intelligence les hommes que nous nommons sauvages, lorsqu’ils ajoûtent à leur premier langage, composé du plus petit nombre de termes généraux possible, des termes particuliers pour distinguer les objets individuels.

Le Peintre prend donc une des routes principales de la perfection, dès qu’il conçoit le projet de distinguer les objets individuels par les formes particulières qu’il leur remarque en observant leurs dimensions, leurs proportions & leur couleur. On peut dire que l’Artiste tient alors en ses mains le fil qui doit le conduire successivement à toutes les particularités assignées, non-seulement aux différentes natures d’êtres, mais à chacun des différens êtres de chaque nature. Il sera peu-à-peu dirigé par ce fil, (si son intelligence lui en donne les moyens) jusqu’aux nuances les plus fines des caractéres ; car il aura bientôt reconnu qu’aucun objet, de quelque genre, de quelque classe qu’il soit, ne ressemble parfaitement à un autre du même genre & de la même classe.

Pour revenir un moment sur nos pas, avant d’entrer dans quelques détails, j’observerai que le caractère général de l’homme, d’après la première notion que j’ai donnée, consiste dans les formes des parties principales, dont l’apparence est plus sensible à la vue ; tels sont la tête, le corps, les bras & les jambes ; car on peut compter les yeux, le nez, la bouche & les doigts au nombre des premiers caractères particuliers. Aussi voyons-nous, que dans les plus anciens essais de l’art d’imiter, les Sculpteurs Égyptiens & les Artistes Étrusques, ne donnoient que l’idée de ces détails dans leurs ouvrages.

On peut dire que les caractères absolument généraux sont semblables dans tous les objets de même nature & de même genre ; ainsi cette route de l’imitation ne conduit pas bien loin. Les ca-