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J’ai déjà dit au mot Decence, que l’intention étoit le juge des Artistes dans tous les cas de conscience de leur Art. Je les renvoye encore à ce Tribunal pour le genre dont il s’agit, en leur recommandant, lorsqu’ils dessinent des caricatures sans mauvaise intention, & seulement par gaieté, ou de l’aveu même de ceux qui en sont l’objet, de ridiculiser plutôt les formes que le caractère moral. Car un homme (je ne sais si je dois dire aussi une femme) souffrira plus aisément que la caricature exagère quelques défauts de sa taille, par exemple, que de son esprit. Les caricatures qui se font à l’amiable, gardent ordinairement une juste mesure, & sont simplement risibles.

Les charges sont donc quelquefois des jeux de la Peinture ; comme les grotesques, dans la composition desquels on les fait entrer. Elles peuvent prétendre, relativement aux Artistes, à une sorte de mérite, car lorsqu’elles sont tracées promptement & pour ainsi dire, par un trait spirituel, elles prouvent, indépendamment d’une grande facilité, une sagacité fine à saisir les caractères & les expressions. D’ailleurs, ne coûtant que quelques instans, elles ressemblent mieux à un jeu & donnent la preuve, en cas qu’on y démêle quelque malice, qu’au moins elle n’a pas été méditée.

Quelques maîtres qui ont donné des préceptes ou des conseils, exhortent les Peintres à porter toujours avec eux des tablettes ou de petits cahiers, & à tracer les caractères des physionomies, & les expressions qui les frappent. Il est naturel, dans ces sortes d’études passagères, & qui ne permettent qu’un instant, que l’Artiste charge plus ou moins, pour mieux graver dans son esprit ce qu’il a observé. Ces espèces de caricatures sont destinées à être en quelque sorte secrettes & au seul usage de l’Artiste qui les fait. Il en devroit être ainsi des observations que les hommes qui s’appliquent à étudier leurs semblables, font habituellement & écrivent quelquefois. c’est l’usage que les uns & les autres font de ces deux espèces de caricatures, ainsi que l’intention qu’on a eue en les faisant, qui les justifie ou les condamne.

Léonard de Vinci non-seulement a conseillé les études dont je parle, mais il les a pratiquées, & nous possédons des caricatures qui ont été gravées d’après ses dessins. Elles semblent, la plupart, avoir pour but de personnifier, pour ainsi dire, quelques-uns des caractères moraux les plus ordinaires aux hommes dans certains états. On verra dans quelques copies de ces gravures qui se trouveront dans le second Dictionnaire, quelques exemples des caricatures que j’ai dit avoir été faites pour rapprocher les traits humains de ceux de quelques animaux ; & l’on y trouvera aussi des copies de quelques-unes des charges de Vinci, dans lesquelles on démêle les caractères, les pen-


chants & les nuances d’idées affectées à certains états ; par exemple, la physionomie madrée, revêtue du froc d’un Moine, un homme à qui le menton, excessivement long, donne un air de bonté qui touche à la niaiserie ; un autre, dont le menton, excessivement retroussé, le nez aigu, la bouche rentrée, & relevée par les coins, donnent le caractère comique & un rire sardonique habituel. On y voit des traits boudeurs, grondeurs, importans, caustiques ; des têtes, telles que les modèlent avec le tems la paresse du désœuvré, l’embonpoint du gourmand, la luxure du mondain, la vie végétative du Cénobite, l’insouciance de la richesse, la bonhomie de l’homme simple, le dédain de l’orgueil, la maussaderie de l’esprit mal-fait, le contentement de l’amour-propre, la grosse finesse ou gaieté de l’homme sans éducation, le rire bête ou affecté du niais, la méditation habituellement triste du mélancolique, &c.

Ces échantillons pourront faire imaginer à ceux qui n’en auroient pas d’idée, combien le genre des caricatures est étendu, & quels sont ses avantages & ses inconvéniens.

CARNATION. J’ai rassemblé, comme on le verra, à l’article Couleur qui appartient, ainsi que Carnation & coloris, à la lettre C, des notions dont la réunion m’a paru convenable. Je me permets d’autant plus aisément cette réunion, que ces trois mots sont destinés dans l’ordre du Dictionnaire, à se rencontrer fort voisins les uns des autres.

Cependant pour que le Lecteur soit quelque peu dédommagé de la peine qu’il prendra, s’il consulte cet Article, je dirai ici d’avance que le mot carnation désigne, en langage de l’Art, comme dans la langue générale, l’apparence que nous offre dans la nature, la couleur de la peau, & principalement celle du visage.

Le mot carnation signifie aussi l’imitation que les Peintres en font, lorsqu’ils peignent la figure humaine. Il désigne enfin la manière qu’employent les Artistes pour imiter la couleur de la peau & sur-tout du teint. Ainsi l’on dit, d’après le sens le plus général ; les femmes Hollandoises ont assez universellement une belle carnation. Ce qui veut dire qu’elles ont la peau & le teint blanc, & aussi colorés qu’il le faut. On dit, en appliquant le mot dont il s’agit à la Peinture, Rubens donne beaucoup d’éclat à ses carnations, & l’on peut dire aussi à son occasion : Les carnations de ce Peintre célèbre sont reconnoissables par les tons brillans & les passages fins qu’il y mêle ; mais les carnations de Wandyck, non moins recommandables, ont plus de vérité.

CARTONS. On appelle cartons, dans le langage de la Peinture, des dessins de figures ou de compositions dont le trait est sur-tout rendu


Beaux-Arts. Tome I. N