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CON CON 117


plus de tort que cela, à l’effet d’un tableau. Sur quoi, j’ai encore à vous observer que ce n’est pas seulement la même couleur du fond que vous avez qui perce avec, mais aussi toute autre couleur qui seroit du même ton. Ce que je vous dis, c’est afin que vous vous mettiez en garde sur l’un & sur l’autre de ces défauts.

Le moyen de les éviter est si simple, qu’il est étonnant de le voir aussi négligé. Il consiste à se régler sur le fond que l’on veut faire dans son tableau, & de placer le naturel sur un fond pareil avant de peindre d’après ; & vous savez comment cela se peut faire ? c’est en mettant derrière cet objet une toile du même ton, que celui qu’on se propose de donner à son fond. Je demanderois même, pour plus de justesse dans cette étude, qu’on couchât sur cette toile, une même teinte à-peu-près que celle du fond ; que si j’avois une figure à mettre en opposition, sur un ciel bien clair, ma toile en eût la couleur ; si, sur une architecture piquée de lumière, que cette toile fût couleur de pierre ; si, sur un paysage, sur un lambris, sur quelque chose de plus sourd, qu’elle fût chargée d’une couleur approchante de celle qui, dans mon tableau, doit faire fond à mon objet : je voudrois encore qu’on eut l’attention, lorsqu’il s’agit d’un fond piqué de clair, de tourner la toile de façon qu’elle soit frappée du jour, comme dans les fonds sombres il faudroit faire le contraire. Les bons Maîtres de l’Ecole Flamande, n’ont guère manqué à prendre toutes ces précautions-là. Ils en ont tiré cet avantage de voir sûrement ce que les couleurs font les unes contre les autres, & d’en sentir bien la valeur, ce qui ne se peut connoître que par comparaison, d’autant qu’il n’y a point de discours, ni d’indications de dose, qui vous puisse désigner avec précision une teinte de quelqu’espèce qu’elle soit. C’est l’étude seule sur la nature qui conduit de l’une à l’autre, toujours par comparaison, & jamais autrement.

Pour vous mieux inculquer ces principes, je me vais servir d’un exemple : je suppose que vous vouliez peindre sur une toile, un vase d’argent. L’idée générale qu’on se fait de la couleur de l’argent, est qu’elle est blanche ; mais, pour rendre ce métal dans son vrai, il faut déterminer d’une manière juste l’espèce de blanc qui lui est propre & particulier. Et comment déterminer cela ? Le voici : c’est en mettant auprès de votre vase d’argent, plusieurs objets d’autres blancs, comme linge, papier, satin, porcelaine. Ces différens blancs vous feront évaluer le ton précis du blanc qu’il vous faut, pour rendre votre vase d’argent ; car vous connoîtrez par la comparaison, que les teintes de l’un de ces objets blancs, ne seront jamais celles des autres ; & vous éviterez les fausses teintes, que, sans elle, vous courrez grand risque d’employer. Cette intelligence est une de celles que les Peintres Flamands ont fait voir avec le plus de succès, & qui a, de tout temps, donné


à leurs ouvrages cette justesse de ton que nous y admirons avec tant de plaisir.

Je ne me serois pas tant étendu sur cette doctrine des oppositions, sans le besoin que vous avez de la savoir ; besoin qui m’est connu par ce que je vous vois faire tous les jours à l’Académie. Ceux d’entre vous qui ont de la facilité, & qui ont fait leur figure plutôt que les autres, parce qu’ils la font à demi par cœur, emploient le temps qu’ils ont de reste à y faire des fonds ; mais comment les font-ils ? Est-ce en prenant garde à celui qui se présente derrière le modèle ? Point du tout : c’est en mettant du clair & du brun par pur caprice. Les oppositions qu’ils forment ainsi au hasard, sont presque toujours faites à contre sens. Elles ôtent le véritable tour à leur figure. Elles la font percer en vingt endroits. Si vous suiviez la voie qui vous est ouverte, par le fond que vous voyez derrière le modèle, le vôtre seroit raisonnable & raisonné tout naturellement. Vous placeriez dessus ce fond tant d’objets que vous voudriez, sans gâter en rien l’effet de votre objet principal, qui est votre figure. Au contraire, vous lui donneriez des soutiens agréables & convenables ; & vous apprendriez à composer sur des principes sûrs, & pris dans le vrai, c’est-à-dire, dans les effets de la nature, bien vus & bien compris, hors lesquels tout n’est qu’erreur & convention mal fondée.

Tout ce que je vous ai dit-là, sur ces compositions, ne peut avoir rapport, je le sais bien, qu’à un objet unique. Or, comme dans presque tous nos tableaux, il y en entre plusieurs & quelquefois un grand nombre, vous m’allez dire que, dans ce cas, le moyen que je vous propose n’est plus praticable. Il est vrai que je vois souvent agir sur ce pied-là ; mais est-ce à dire pour cela qu’on fait bien ? L’on peint son objet sur un fond, qui est encore inconnu, parce qu’on n’a pas encore bien pris son parti sur le détail de ses oppositions. Cela se voit de reste, par celui qui a des yeux ; car, si on étoit bien décidé sur son fond, il est sûr que l’objet seroit peint tout autrement qu’il ne l’est. Que faudroit-il donc faire en pareil cas ? Il faudroit joindre, autant qu’il est possible, les objets que l’on veut peindre ; si l’on pouvoit les rassembler tous, l’effet en seroit admirable, & la comparaison des couleurs deviendroit si sensible, qu’ayant une fois posé la première, les autres viendroient se placer comme d’elles-mêmes, &, pour ainsi dire, forcément. Et n’allez pas croire, s’il vous plaît, que ces principes & ces façons de faire, peuvent avoir leur bon pour les tableaux Flamands, & n’être pas si propres pour notre goût François, & surtout pour nos tableaux d’histoire. Il n’y a point de goût, premièrement, qui ne doive être puisé dans la nature, & vous devez concevoir que le Peintre d’histoire le plus parfait, est celui qui la consulte & la représente le mieux dans toutes ses parties. La vérité de la couleur,