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ne se peut apprendre qu’en peignant tout d’après le naturel. Les Peintres qui n’ont pas voulu se donner cette peine, sont souvent tombés dans le faux. Car, ses effets justes & qui sont si piquans, ne dépendent point de l’imagination. Il les faut voir, & encore avec un œil bien exercé, pour les rendre dans toute leur vérité. C’est cette fidèle imitation de chaque objet vû dans sa place, qui seule fait ces Peintres séduisans qui sont si vrais & si rares. Accoutumez-vous donc de bonne heure à vous familiariser avec l’étude d’après la nature. Elle vous offrira des secours, & vous donnera des connoissances que vous ne trouverez jamais qu’en elle.

Je ne borne point cette étude à la seule figure humaine ; je demande que vous l’étendiez à tout. Comment pourriez-vous espérer sans cela de parvenir à ces comparaisons exactes d’une couleur considérée à l’égard d’une autre, qui seule peut faire ce qu’on appelle un bon Peintre ?

Seroit-ce en vous livrant à une pratique de pur préjugé, qui ne vous fait voir la nature que par les lunettes d’autrui ? Mais vous sentez bien que cela vous arrête tout court au milieu de votre route, & fait que votre génie ne vous est bon à rien. Les principes sont faits pour que dans les tems que vous serez vis-à-vis de la nature, vous la voyiez habilement. La nature bien vue, bien étudiée, vous peut seule donner ces lumières originales qui distinguent l’homme supérieur d’avec l’homme commun.

Je dis bien vrai ; car si vous ne la voyez sans cesse avec ces yeux de comparaison que je vous demande, il n’y a rien de fait. Vous comprenez que ce ne seroit pas voir comme il faut que de la soumettre à un goût particulier que vous auriez pris, à un coloris de manière qui ne feroit que vous la déguiser à vous-même, de façon que ce que vous feriez d’après, paroîtroit être fait de pratique. Non ; il faut qu’il n’entre pas un objet dans votre tableau, soit principal, soit accessoire, que vous ne l’ayez étudié dans l’esprit de lui donner la couleur juste qu’il doit avoir par-lui-même, & le ton juste de cette couleur réglée par les objets dont il est environné. Si vous ne prenez pas ce parti, comptez que jamais vous ne viendrez à bout de faire des tableaux estimables pour la couleur.

Ce seroit bien pis encore, si vous preniez le parti de faire exécuter vos accessoires par des mains étrangères. Ce secours est d’un danger infini. Il vous éloigne de cette étude de comparaison que vous ne pouvez trop cultiver. Il jette un faux dans votre ouvrage qui frappe également, soit que le Maître que vous avez choisi pour faire vos remplissages se trouve habile, ou qu’il ne le soit pas. Car, quelqu’habile qu’il soit, il ne voit pas la nature comme vous la voyez, par comparaison d’un objet à un autre. Il trouve votre


tableau fait ; ce que vous lui faites ajouter, ce qu’il met à côté de votre ouvrage, devient une affaire de pratique. Il fait pour le mieux ; mais pas si bien que s’il avoit vu les deux objets ensemble dans le naturel. L’ame de cette intelligence, qui doit partir d’un même point, n’est point dans tout cela. Si celui que vous avez choisi pour vous aider, est plus foible que vous du côté des principes, voyez à quoi vous vous exposez, & combien d’erreurs il semera sur votre tableau.

Pour éviter cet inconvénient, il faut de bonne heure vous exercer, comme vous venez d’entendre que le souhaitoit M. de l’Argilière, mon Maître, à faire de tout ; mais sous les yeux de votre Maître, afin de faire avec principes. Il n’est point d’objet, si léger qu’il puisse être, qui étudié de cette façon, ne vous fit un bien infini.

Je me souviens là-dessus d’un fait qui m’arriva avec cet homme habile, l’exemple des Maîtres, comme des honnêtes-gens. Vous ne serez pas fâchés peut-être que je vous en fasse part. Il me dit un matin qu’il falloit quelquefois peindre des fleurs, J’en fus chercher aussi-tôt, & je crus faire des merveilles que d’en apporter de toutes les couleurs. Quand il les vit, il me dit : « C’est pour vous former dans la couleur que je vous ai proposé cette étude-là. Mais croyez-vous que ce choix que vous venez de faire, soit bien propre pour remplir cet objet ? Allez, continua-t-il, chercher un paquet de fleurs qui soient toutes blanches. » J’obéis sur le champ. Lorsque je les us posées devant moi, il vint se mettre à ma place ; il les opposa sur un clair, & commença par me faire remarquer que du côté de l’ombre, elles étoient très-brunes sur ce fonds, & que du côté du jour, elles se détachoient dessus en demi teintes, pour la plus grande partie assez claires. Ensuite il approcha du clair de ces fleurs, qui étoit très-blanc, le blanc de ma palette, lequel il me fit connoître être encore plus blanc. Il me fit voir en même tems que dans cette touffe de fleurs blanches, les clairs qui demandoient à être touchés de blanc pur, n’étoient pas en grande quantité, par comparaison aux endroits qui étoient en demi-teinte, & que même, il y avoit très-peu de ces premiers, & il me fit concevoir que c’étoit cela qui formoit la rondeur du bouquet, & que c’étoit sur ce principe que rouloit celle de tout autre objet auquel on veut donner cette apparence de relief ; c’est-à-dire, qu’on ne produit cet effet que par des larges demi-teintes, & jamais en étendant les premiers clairs. Après cela, il me fit sentir les touches de brun très-fort qu’on voyoit dans le centre de l’ombre, & les endroits où elles se trouvent privées de reflets.

« Peu de nos Peintres, me dit-il, ont osé rendre l’effet que vous voyez là, quoique la nature le leur montre à chaque instant. Souvenez-vous, ajouta-t-il, que c’est une des grandes clefs de la magie