Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120 CON CON


peuvent être supposées toutes dans l’ombre que par le moyen de quelque corps solide, qui les prive de la clarté du grand jour ; & cette privation, comme on le voit, ne leur fait jamais perdre leur propre couleur. Il n’y a que dans les côtés où les reflets ne peuvent aller, que les couleurs se confondent, & qu’il est permis de pousser ces bruns, autant qu’on le veut, ou qu’il est nécessaire pour l’effet général de la machine. »

Ce que M. de l’Argillière avoit encore plus de peine à comprendre, étoit de voir des Peintres d’une réputation établie, qui se servoient de ce repoussoir dans des sujets de grande composition, dont la scène se passoit en pleine campagne. Là, ces grandes masses ombrées ne peuvent cependant l’être que par un nuage. Tous les jours la nature nous offre cet accident, mais il ne produit pas les repoussoirs dont je parle.

Qui de nous ne se souvient pas combien il est éloigné de ce noir outré & égal ; combien dans ces masses privées de lumière, les couleurs locales conservent leurs nuances & leurs variétés, & combien avec cela, ces masses se détachent de celles qui sont éclairées par le grand jour, sans montrer rien qui nous oblige à les barbouiller & à les noircir, comme font ceux qui employent le repoussoir ? Ce n’est pas que je veuille dire qu’il ne puisse l’être quelquefois & fort à propos, parce que le fonds en est dans la nature, ainsi que celui des autres effets ; mais il faudroit en l’employant, la consulter exactement. Elle apprendroit à celui qui ne les auroit jamais employés que par routine & d’un même noir d’un bout à l’autre, que par-tout où se trouvent les grands bruns, certainement se trouvent aussi les grands clairs, & que tout le reste se dégrade, mais avec des masses variées de couleurs.

Celui qui observe bien n’auroit qu’à voir comment les bons Peintres Flamands s’y sont pris pour trouver des repoussoirs. Il connoîtroit bientôt que ce n’est qu’en puisant dans cette source que j’indique ici, & qui donnera à ceux qui y ont recours, cette vérité & cette variété dont nous ne sommes peut-être pas assez jaloux. Ceux qui ne connoissent que ces repoussoirs tous noirs qu’on place sur les plans de devant seroient bien étonnés sans doute, si on leur proposoit d’employer les plus grandes forces en brun sur le second plan.

C’est pourtant un effet qu’ils vérifieroient souvent, s’ils s’habituoient à lire la nature, & qui pour avancer ou éloigner leurs objets, leur fourniroit des ressources infinies. Et comment ? Par les effets de la lumière, qui donneront aux plans une gradation bien plus étendue qu’on n’en peut donner à ces plans qui sont comme entassés les uns sur les autres. En sorte que tel qui dans ces plans par échelons, ne sauroit où mettre le nombre de figures qu’il vou-


droit faire entrer dans sa composition, se trouveroit ici avoir de la place de reste.

J’ai vû nombre de fois dans la nature le grand effet que produit la masse brune placée sur le second plan. Je me souviens entr’autres d’un grand bâtiment qui étoit en opposition sur une futaye. Comme le tout étoit éclairé un peu par derrière, la masse de cette espèce de forét étoit très-brune, & le bâtiment qui étoit privé de lumière, se détachoit dessus en reflets. Tout ce qui étoit sur ce devant ne tenoit en aucune façon de cette masse brune, & les groupes étoient à portée de recevoir la lumière étoin d’un brillant admirable.

Dans l’exemple dont il s’agit ici, c’est un principe capital que lorsque cette force en brun est établie sur le second plan, tout ce qui se trouve sur le devant est clair & vague. Quand même les objets établis sur ce devant seroient supposés prives de lumière, ils ne doivent participer en rien des forces qui se trouvent sur le second plan, & doivent, tout privés qu’ils seroient de lumière, faire masse dessus en reflets & d’un ton subordonné. Ce qui n’exclud point pourtant l’emploi de certaines touches vigoureuse, parce que, ne faisant point masse, elles ne perceront jamais avec le fonds.

L’intelligence des masses est écrite dans toute la nature. Suivez-la avec attention ; elle ne manquera en aucun temps de vous les montrer toutes déterminées.

C’est l’étude du monde la plus agréable & qui vous feroit le plus de bien.

Oui, je voudrois, quand vous auriez un tableau dont la scène seroit en pleine campagne, que vous vous y portassiez avec deux ou trois amis bien unis par l’amour du travail ; qu’après avoir trouvé un aspect ou un effet à peu près convenable à votre sujet, vous vous missiez à en faire quelques bonnes études, tant par rapport à la forme & à la lumière, que pour la couleur ; qu’ayant bien arrêté vos plans, vous missiez dessus quelques figures dans les endroits où vous auriez dessein de les placer dans votre composition, pour voir l’effet qu’elles y feroient & par leur couleur & par leur grandeur.

Deux d’entre vous ou quelqu’un pris sur les lieux peuvent remplir cet objet, parce que vingt figures ou une, c’est le même principe. J’espère que vous sentez que, moyennant ces précautions, vous feriez des choses au-dessus de ce que l’on fait communément, & que vous acquerreriez un fonds d’intelligence qu’on ne peut espèrer de trouver dans le simple raisonnement. Sentez encore combien il vous est aisé de faire cette provision de savoir par les facilités que vous offre la nature qui vous tend par-tout les bras.

Car elle ne vous est pas moins secourable dans les sujets que vous avez à traiter sur un fonds d’Architecture, de ceux dont l’action principale


se