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Quoique l’on doive convenir que la quantité des substances colorantes donne un avantage aux peintres modernes sur les anciens qui n’employoient que les couleurs capitales, il ne faut pas croire que ceux-ci fussent réduits à une disette qui les empêchât d’être grands coloristes. Les couleurs dont ils faisoient usage, & qui ne montoient qu’au nombre de cinq, en y comprenant le noir & le blanc, produisoient par leurs différentes combinaisons 819 changemens. C’est M. Mayer, Professeur de Gœttingue, qui en a fait le calcul. Pour affirmer ou mer qu’Appelle ou Protogène, ont été grands coloristes, il faudroit avoir vu de leurs tableaux : mais l’argument qu’on tireroit du petit nombre de couleurs primitives dont ils couvroient leur palette ne pourroit fournir contre eux aucune preuve concluante. On assure que Santerre, qui pouvoit profiter de tous les matériaux qu’employoient ses comtemporains, s’étoit volontairement réduit au cinq couleurs des anciens Grecs. Il plaît aux amateurs par un coloris tendre & gracieux il auroit tiré des mêmes matériaux une couleur vigoureuse s’il y avoit été porté par son goût naturel. Les substances qu’il employoit étoient l’outre-mer, le massicot, le gros rouge-brun, le blanc de craie & le noir de Pologne.

La couleur, ou le coloris, car ces deux mots se prennent souvent l’un pour l’autre dans le langage de l’art, le coloris dis-je, se considère relativement à l’ensemble d’un tableau, & relativement au détail de ses parties.

Relativement à l’ensemble, il consiste dans une conduite de tons liés ou opposés entre eux, & qui soient dégradés par de justes nuances en proportion des plans qu’occupent les objets. Ajoutons qu’il en est de la disposition des couleurs, comme de celle des figures dans la composition. Il doit y avoir dans un tableau une figure principale ; il doit y avoir aussi une couleur dominante un ton général, sans lequel il n’y auroit point d’harmonie.

Relativement aux détails, le coloris consiste dans la variation des teintes ; variation nécessaire pour parvenir à l’arrondissement des corps. Ce principe confirme ce que nous avons établi, que la couleur est subordonnée au clair-obscur, puisque lui seul donne l’échelle des tons que doivent suivre ces teintes différentes. C’est par les règles du clair obscur qu’une drapperie bleue, par exemple, ne doit pas consister en une couche de couleur bleue, également appliquée sur le champ du tableau : ce sont ces règles qui apprennent, indépendamment de l’inspection de la nature, toutes les dégradations que cette couche bleue doit éprouver depuis le plus grand clair, jusqu’à l’ombre & au réflet : un artiste qui peindroit une drapperie bleue d’après un dessin au clair-obscur, savamment dégradé, ne


rendroit peut-être pas toutes les teintes que la nature pourroit lui offrir ; mais cette imitation seroit satisfaisante, parce qu’on y trouveroit la dégradation nuancée que prescrit la nature.

Les teintes principales sa distinguent en cinq nuances : le grand clair, la couleur propre de l’objet, la demi-teinte, l’ombre & le réflet. Des teintes intermédiaires, & bien plus nombreuses dans la nature que l’art ne peut l’exprimer, forment les passages du clair à la couleur propre, de celle-ci à la demi-teinte, à l’ombre, & au réflet. Tous ces principes résultent encore de la théorie du clair-obscur, ou, ce qui est la même chose, ils sont fondés sur l’étude de la dégradation de la lumière & de l’ombre.

La même conduite de tons qu’on observe pour l’arrondissement d’un seul objet, doit se retrouver dans l’effet du tout ensemble. L’artiste ménage, dans sa composition, une masse dominante de couleur & de lumiere ; il la soutient par des lumieres, par des tons subordonnés qui se prêtent une valeur réciproque ; il la rappelle par des échos qui réveillent les masses, & l’assortit avec des demi-teintes & des ombres dégradées.

Le premier ton d’un tableau est arbitraire ; il n’a de valeur que celle qu’il reçoit des contrastes qu’on lui oppose. Le ton le plus simple sur la palette peut devenir très-brillant ; une couleur par elle-même très-brillante, peut devenir lourde, sèche & discordante. Les couleurs matérielles sont mortes, c’est l’art du Peintre qui les anime. Un blanc morne, un jaune mat, prennent sous son pinceau l’éclat de l’argent & de l’or. Avec quelques couleurs qui n’ont aucun agrément par elles-mêmes, il va créer la carnation de Vénus.

Que le ton du tableau soit convenable au sujet & concoure à son expression générale. Tout doit être riant dans un sujet qui respire la gaîté : tout doit être sombre dans un sujet triste. Si vous voulez me remplir d’horreur, que j’y sois préparé par la couleur de votre composition. Le soleil recula au festin d’Atrée : une couleur brillante détruiroit la terreur dans un sujet affreux.

Si la scène se passe dans l’air, le ton doit être suave, lumineux, léger : si elle se passe sur la terre, il faut avoir égard au climat ; le ton sera plus chaud dans les contrées le l’Asie méridionale, que dans les plaines de la Scythie qui ne reçoivent que les rayons obliques du soleil. En pleine campagne le ton sera plus vague que dans l’intérieur d’un palais ou d’un temple. Il sera frais & verdâtre, si la scène se passe sur les eaux ; ardent, rougeâtre & mêlé de teintes enfumées, si la scène est dans les enfers, ou dans les forges du Mont-Ethna. Enfin le peintre doit observer


Beaux-Arts. Tome I. X