Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/308

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

COU COU 167


infiniment-moins général que je n’ai paru le faire entendre d’abord.

En effet tout ouvrage qui exige d’être rendu avec soin, ne peut assurément guere être exécuté au premier coup, & si un artiste peignoit tout ce qu’il exécute au premier coup, ce qui pourroit se faire à la rigueur, la plus grande partie de ses productions seroit très-imparfaite.

On peut dire même qu’il est difficile que quelqu’ouvrage que ce soit puisse être assez parfaitement rendu, si l’on ne revient à plusieurs fois, soit pour se corriger, soit pour parvenir, après avoir ébauche, à terminer chaque partie & souvent à changer d’après les réflexions & l’observation de son ouvrage, ce qui paroît y manquer.

La manière dont je parle semble donc & est effectivement réservée aux études particulières que l’on fait sur la nature même, parceque d’une part la nature vivante, par exemple, ne peut rester assez immobile pour qu’on puisse revenir à plusieurs fois, & que si l’on peint d’après nature hors de l’attelier & en plein air ; les lumières changent trop de moment en moment, pour qu’il soit possible de revenir à plusieurs reprises sur son travail, pour mieux rendre l’effet qu’elles produisent.

Il est donc alors nécessaire de peindre souvent le plus promptement qu’il est possible, & comme on dit au premier coup ; mais quelquefois cette manière a rapport au caractère particulier du peintre, à l’habitude qu’il s’est formé. Il est tel artiste qui ne fait jamais mieux qu’en peignant au premier coup & comme l’inspire la nature ou l’imagination ; de même il est tel Auteur qui ne compose jamais mieux que lorsqu’il travaille de premier jet & d’inspiration. Ces caractéres d’esprit, de génie ou de talent, se réfroidissent par la lenteur des moyens méthodiques que les autres employent pour rendre leurs ouvrages plus parfaits. Ils ôtent à leurs productions, en y travaillant à plusieurs fois, cette fleur du génie, cette liberté qui les manifeste, ce feu dont la promptitude conserve toute sa vivacité. Si ces Auteurs sont contraints à revenir sur leurs pas, la pesanteur, la contrainte, le froid, désignent les soins laborieux qu’ils ont pris pour rendre plus conformément aux règles & aux principes de l’art, leurs ouvrages.

Je ne prétens, en exposant ces dispositions inhérentes à certains talens, ni les approuver, ni les exclure. La nature qui répand sur les productions qu’imite la peinture, une variété inépuisable, la répand aussi sur les dispositions qu’elle donne aux artistes, & les condamne souvent à s’y astreindre, sans que le raisonnement, l’instruction, la conviction qui résultent des méthodes artielles, puissent vaincre le pen-


chant & l’habitude, ni procurer un succès plus grand.

Pour revenir à la pratique dont je viens de parler, les esquisses, les premieres pensées comportent presqu’essentiellement d’être exécutées au premier coup : je dirai encore qu’une infinité d’études, d’ouvrages même, inspirés par des sentimens prompts ou d’amitié ou d’amour, tels que des portraits, des évènemens singuliers dont on est témoin, des circonstances personnelles, enfin des amusemens de société, comportent & demandent souvent même d’être exécutés au premier coup pour avoir tout le mérite qu’on peut y desirer. Le sentiment ne peint qu’au premier coup, & il est dangereux, si l’on ose porter plus loin cette image, d’y retoucher. Le cœur qui sent à deux fois, on qui, pour sentir, revient sur lui-même, ne s’exprime bien, ni en peignant des sentimens, ni en se livrant à ce qu’ils inspirent ; mais la nature qui conduit le sentiment a bien de l’avantage a cet égard sur l’art qui conduit le Peintre. L’une est le modèle & l’autre artiste. (Article de M. Watelet.)

COUP-D’ŒIL, (subst. composé masc.) C’est l’habitude de saisir, à la simple vue, la figure, la grandeur & les proportions avec tant de précision qu’il s’en forme un tableau exact dans l’imagination. Le coup-d’œil est le premier & le plus indispensable des talens que les arts du dessin exigent. Ni la règle, ni le compas ne peuvent suppléer au défaut du coup-d’œil. Il faut, comme s’exprimoit Michel-Ange, que le dessinateur ait le compas dans les yeux, & non dans la main ; & l’un des plus grands peintres, le célèbre Mengs, veut que la première tâche de l’élève soit de se rendre l’œil juste au point de pouvoir tout imiter. C’est, selon lui, au coupd-d’œil que Raphaël même devoit une grande partie de ses succès. Le coup-d’œil ne fait pas simplement qu’on puisse imiter chaque objet ; mais il met encore dans cette imitation un si haut degré de vérité, que l’ouvrage en acquiert une énergie frappante.

Il en est-du coup-d’œil comme des autres talens ; la nature en fait les premiers frais par les dispositions qu’elle donne ; mais un long exercice y peut beaucoup ajouter. Presque tous les peintres qui vivoient lors de la restauration des arts possedoient le coup-d’œil dans un degré éminent. On voit plusieurs dessins & tableaux du temps d’Albert-Durer qui sont estimables par leur grande vérité ; des portraits mal peints, mais qui sont d’un grand prix à cause de la correction du dessin. Tous les peintres de ce siécle-là, dit M. Mengs, avoient le coup d’œil juste : s’ils avoient su, comme Raphaël, faire de bons choix, ils auroient tous aussi bien dessiné que lui. C’est-là une observation bien intéressante