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La critique s’épure avec l’art & dégénère avec lui. Quand il n’y avoit pas de meilleurs peintres que le Cimabué ou le Giotto, les critiques regardoient comme des chefs-d’œuvres de l’art, comme ce que l’on pouvoit produire de plus beau, les peintures du Giotto & du Cimabué. Si dans un certain temps & un certain pays, les artistes donnent des mignardises pour de la grace, leur manière pour de la beauté, les critiques oublieront eux-mêmes ce qui constitue la beauté & la grace. Le langage des critiques grecs étoit sans doute bien différent au temps de Solon, au siécle de Périclès, & sous le règne de Constantin.

Le meilleur critique des arts est sans doute l’artiste, parce qu’il a dû rassembler plus de principes nécessaires pour bien juger, & que ces principes lui sont chaque jour rendus plus familiers par la pratique.

Les gens de lettres ont tenté d’enlever aux artistes cette prérogative pour s’en emparer, & l’ont exercée de manière à venger ceux qu’ils en avoient dépouillés. Les amateurs armés à la legère, se sont joints au parti des gens de lettres, & l’on ne s’est pas apperçu qu’ils lui aient procuré plus de force.

L’Abbé Dubos dans ses réflexions sur la pœsie & sur la peinture, prétend que la plupart des gens du métier jugent mal des ouvrages par trois raisons : parce que leur sensibilité est useé. Il seroit plus vrai de dire qu’elle est exercée. Parce qu’ils jugent de tout par discussion. Tout n’est pas du ressort de la sensibilité dans les ouvrages de l’art ; ce qui n’y tient pas au sentiment, ne peut être mieux jugé que par discussion, & les artistes sont plus capable de cette discussion que des personnes étrangères aux arts. Enfin parce qu’ils sont prévenus en faveur de quelque partie de l’art, & qu’ils la comptent dans les jugemens généraux qu’ils portent pour plus qu’elle ne vaut. C’est un défaut dans les artistes d’être trop prévenus en faveur de quelque partie de l’art : mais ils seront encore de meilleurs Juges que des gens qui ne possèdent bien aucune de ces parties. Ils porteront du moins les jugemens les plus sains sur la partie qu’ils connoissent le mieux & pour laquelle ils seront prévenus, & en rassemblant les jugemens de différents artistes prévenus pour différentes parties, on composera un jugement général, qui sera celui de la vérité, & qui, avec le temps, deviendra celui du public, (Article de M. Levesque).

CROQUIS. Le besoin d’exprimer d’une manière concise certains détails de la pratique ou de la théorie des Arts, suggère aux Maîtres & souvent aux disciples des expressions comparatives & figurées. Elles sont quelque fois


communes ou même basses, quelquefois nobles ou élevées. Elles paroissent heureuses quand elles sont significatives. Celles qui sont créées par les peintres, sont souvent pittoresques. Elles se répétent d’attelier en attelier, de bouche en bouche, deviennent en usage, font alors partie du langage de l’Art dans lequel elles sont créées & de-là, repassent avec la signification nouvelle qu’elles ont acquises dans la langue générale.

L’on pourroit, à quelques égards, observer dans les atteliers la marche de l’invention des langues, parce que des besoins nouveaux & des sensations promptes y contraignent plus souvent que dans la société ordinaire, à inventer des signes ou des mots & à donner à ceux qui existent dans la langue générale des acceptions particulières.

Ces expressions, comme je l’ai observé, prennent leur caractère de ceux qui les premiers en ont fait usage, & c’est d’après ce caractère qu’elles se trouvent être nobles, familières, sérieuses, gaies, quelquefois basses & burlesques.

Croquis est du nombre de celles-ci.

Croquer, c’est manger vîte : croquer, en termes d’atteliers de peintres, c’est exécuter à la hâte.

Un croquis est une première idée, indiquée par quelques traits de crayon, quelques griffonnemens de plume ou quelques traces de couleurs sans dégradations.

Cette expression convient mieux aux Arts dont les objets sont des imitations visibles, qu’aux Arts dont les productions s’opèrent par des signes convenus ; aussi l’on dit plutôt : un croquis de composition, de figure, de paysage, qu’un croquis de poëme où de musique. Les croquis des grands artistes sont prisés des curieux, comme les moindres reliques des saints sont recherchées par les dévots ; aussi cette sorte de vénération, est-elle souvent poussée trop loin ; car des griffonnemens qui ne désignent presque rien & des indications à peine reconnoissables de composition ou de parties de figure ne valent certainement pas plus l’affection de certains amateurs, & la vénération qu’ils exigent de ceux à qui ils les montrent, que certains fragmens apocriphes ne méritent les honneurs d’une chasse.

Les croquis qui approchent de ce qu’on nomme étude, esquisse, pensée achevée, méritent d’être conservés, parce qu’on y peut démêler sensiblement la marche de l’esprit des artistes & l’empreinte du talent naturel.

On ne trouve pas sans doute le même mérite dans les brouillons des Poëtes, aussi est-il rare qu’ils obtiennent la vénération des littérateurs ; c’est que l’écriture étant familière à tout le monde, il se trouve trop de


Beaux-Arts. Tome I. X