Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ECO

autant que le Correge, & son clair-obscur n’est pour ainsi dire, qu’ébauché. Il a eu plus d’idéal dans le coloris, & même assez pour trouver le vrai caractere & le juste dégré des couleurs qu’il a su bien disposer : car il n’est pas si facile qu’on le croit de savoir quand il faut se servir d’une draperie rouge, ou d’une draperie bleue, & c’est une partie que le Titien a merveilleusement bien entendue. Il a mis aussi une grande harmonie dans les couleurs, partie qui tient à l’idéal & qui ne peut s’apprendre dans la nature, si on ne la conçoit pas d’abord dans l’imagination. J’en dis autant du clair-obscur, parce que les demi-teintes n’ont pas autant de degré dans l’art qu’elles en ont dans la nature ; ce qui peut s’appliquer de même à l’harmonie & aux couleurs, où une simple imitation de la nature ne servira de rien : j’en conclus donc que le Titien n’a pu si bien remplir cette partie, sans avoir beaucoup d’idéal. Sa composition est fort simple, & il n’y a jamais mis que ce qui étoit absolument nécessaire ; par conséquent il n’a été que fort peu idéal dans cette partie. »

Les couleurs de ses tableaux sont tellement fondues, qu’elles ne laissent aucune idée des couleurs qui étoient sur sa palette, ce qui le distingue de Rubens qui a placé sans presque les fondre, les couleurs les unes à côté des autres. Cette pratique l’empêche d’être aussi harmonieux, & même ne lui permet de parvenir à une sorte d’harmonie, qu’à force d’employer une grande diversité de couleurs & de forts reflets d’une couleur dans l’autre. On ne sauroit dire, en voyant les tableaux du Titien, avec quelles couleurs il a produit ses teintes. Cette pratique, qui l’a conduit à une imitation si parfaite de la nature colorée, rend le maniement de son pinceau peu apparent. Les amateurs n’ont pas ce plaisir auquel ils sont si sensibles, parce que c’est un de ceux qui sont le plus à leur portée, d’y voir la liberté de la main ; mais il n’y peuvent rien voir non plus qui témoigne la gêne, & d’ailleurs ils doivent être consolés par les touches, aussi justes que fines, dont cet artiste animoit son travail, & qui accusent avec la plus grande précision le caractere des différens objets.

Il a peint de belles étoffes & en a bien représenté le caractere : mais on ne sauroit dire qu’il ait bien drapé. Il a même souvent péché par la disposition des plis, & l’on voit qu’au lieu de faire un choix fondé sur des principes, il se contentoit de copier les hasards que lui offroit la nature. Comme le hasard offre quelquefois de belles suites de plis, il n’est pas rare d’en trouver aussi dans les tableaux du Titien.

Il est, entre les peintres d’histoire, l’un de ceux qui ont le mieux fait le paysage. Ses


sites sont bien choisis, ses arbres sont variés dans leurs formes, & leur feuillé est bien rendu. Il avoit coutume, pour rendre ses paysages plus piquans, d’y représenter quelques effets extraordinaires de la nature.

ECOLE LOMBARDE ; elle se distingue par la grace, par un goût de dessin agréable quoiqu’il ne soit pas d’une grande correction, par un pinceau moëlleux & une belle fonte de couleur.

ANTONIO ALLEGRI, dit le CORREGE, en est le pere & l’ornement. Il naquit à Correge ou dans un village voisin de cette ville. Quelques écrivains placent sa naissance en 1490 ; mais Mengs, que nous allons suivre constamment dans ce que nous drons de ce peintre, croit plus vraisemblable qu’il est né quatre ans plus tard, & regarde comme certain qu’il est mort en 1534 à l’age de quarante ans. Il fut marié deux fois & eut des enfans de ses deux femmes.

L’opinion la plus générale est que le Correge est ne de parens pauvres & de basse extraction ; d’autres prétendent, mais sans preuve, qu’il étoit d’une famille noble & très-riche : Mengs prend un milieu entre ces deux sentimens, & croit qu’il jouissoit d’une aisance honnête, proportionnée au pays & au temps où il vivoit. La rareté des especes & la langueur de la circulation est prouvée par la sorte de monnoie dans laquelle on payoit le Correge, à qui l’on donnoit en cuivre des sommes assez fortes. Mengs se confirme dans l’opinion que cet artiste n’étoit pas infortuné, par l’inspection de ses ouvrages, dans lesquels il ne trouve pas, comme dans ceux des peintres qui languissoient dans la pauvreté, des témoignages de lésine, ni même d’économie. Ses tableaux sont peints ou sur des toiles très-fines, ou sur de bons panneaux, ou même sur du cuivre : ils sont finis avec beaucoup de soin, & ne semblent pas être l’ouvrage d’un homme qui attendît le paiement avec impatience ; les couleurs les plus cheres & les plus difficiles à employer n’y sont pas épargnées ; elles s’y trouvent même avec une sorte de profusion. Enfin on sait qu’il employoit pour faire les modeles de sa coupole de Parme, le Begarelli, sculpteur estimé même de Michel-Ange, & aucun peintre aujourd’hui ne seroit en état de payer à un bon sculpteur les modeles nécessaires pour un ouvrage si considérable.

On donne pour preuve de la pauvreté du Correge & de la foible rétribution qu’il tiroit de ses ouvrages, la somme de cent soixantedix écus qu’il reçut en monnoie de cuivre pour sa seconde coupole. C’est de ce même fait que Mengs tire la preuve que le Corrège étoit assez honnêtement payé eu égard à son pays. En effet, comme une coupole exige beaucoup de tems & des avances considérables de la part de l’artiste, il est nécessaire qu’il reçoive son payement en