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d’un homme épouvanté du seul souvenir du péril imminent auquel il étoit échappé. » « Plusieurs s’offroient au coup avec une résolution qui dans les uns tenoit du désespoir, & pouvoit être dans les autres l’effet d’un véritable étourdissement. »

« Entre ceux que le hasard rendit à eux-mêmes, quelques-uns montrèrent une tranquillité que je n’envisageai pas néanmoins comme une exemption entière de tout trouble ; cette tranquillité, plus froide dans quelques autres, me représentoit cet état d’indifférence qui est plus voisin de la tristesse que du plaisir. J’en contemplai beaucoup dont le contentement se manifestoit par des larmes plus ou moins abondantes : d’autres rioient, & versoient à la fois des pleurs ; d’autres encore faisoient malgré eux des cris, des sauts & des éclats de rire. L’équilibre des vibrations étant en effet rompu, l’empire de la volonté eût été certainement trop foible pour balancer en eux, dès le premier moment, l’irruption soudaine & copieuse des esprits qui provoquoit leurs mouvemens. D’autres enfin, non moins transportés de plaisir, parloient sans cesse, & marquoient par une singulière volubilité de langue le sentiment dont ils étoient intimément pénétrés : car l’abondance ou la superfluité des paroles est souvent l’expression d’une joie immodérée, comme le silence est l’expression d’une douleur profonde. »

« En considérant aussi ceux qui furent les victimes du sort, je remarquai dans l’un d’eux une résignation subite qui me surprit d’autant plus, que cet abandonnement total de lui-même venoit d’être précédé de toutes les démonstrations d’une terreur réelle. Un autre, qui s’étoit soutenu jusqu’alors en masquant son effroi de tous les dehors de l’arrogance, fut aussitôt abattu ; une respiration entrecoupée & tremblante lui permettoit à peine de proférer quelque plainte. »

« Mais celui qui me remua le plus fortement étoit un jeune homme que j’avois vu plongé jusques là dans la plus affreuse consternation. Il s’avança pas à pas, & la tête toujours baissée ; la vue de l’objet dans lequel étoit renfermé son arrêt, porta tout-à-coup la rage jusques dans le fond de son ame. Soudain il grince des dents, frappe sa poitrine, & la déchirant d’une main avec fureur, il fouille de l’autre avec emportement parmi les balles, la retire de même, & tendant son bras pour exposer à tous les yeux le sort qui lui est échu, son égarement est tel, que lui seul ne distingue plus rien. Ses membres, incapables de mouvemens, demeurent dans la situation où ils se trouvent, & toutes sensations cessent, pour ainsi dire,


en lui, comme s’il eût été atteint de cette maladie formidable où le corps s’en tient à la position qu’il a prise ou qu’on lui donne. »

L’Artiste curieux d’étudier la plus belle partie de son art, celle qui peut l’élever au rang des grands poëtes, trouvera des occasions fréquentes d’observer le jeu des différentes passions.

Quelques peintres, le Brun entr’autres ; ont tracé des exemples de l’expression du visage relativement à quelques passions : mais qu’il y a loin de ces essais à un ouvrage parfaitement médité & étendu sur tout ce qui dans le corps humain est susceptible d’expression, soit par les formes, soit par les mouvemens, soit par la couleur !

Des collections de dessins ou d’études faites méthodiquement par des artistes habiles, aidés des observations de quelques philosophes, éclairés dans la partie des arts, seroient les véritables fondemens d’une science qui n’est pas créée. On peut avancer que la théorie n’en est qu’ébauchée, puisque les artistes n’ont d’autres guides encore que leurs observations passagères, & l’imitation des imitations célèbres. La ressource du plus grand nombre est le tâtonnement ou une sorte de routine.

Au reste, je placerai au mot Passion quel-ques-unes des observations & des essais de le Brun, mais en ne dissimulant pas, malgré ces secours, la disette de l’art sur cet objet important. (Article de M. Watelet.)

Expression. On peut distinguer dans l’expression une bonté absolue & une bonté relative. Une figure dans laquelle l’artiste aura su rendre avec la plus grande vérité une affection de l’ame, sera d’une bonne expression absolue ; mais elle peut être justement condamnée relativement au sujet du tableau, si elle ne s’accorde pas avec l’expression générale que ce tableau doit offrir. Par exemple, dans le tableau de Jacques Jordaens, qui appartient au Roi, & qui représente les vendeurs chassés du temple, les expressions sont d’une grande justesse & d’une parfaite verité ; elles sont bonnes en elles-mêmes ; & cependant elles sont vicieuses relativement au sujet, parce qu’elles sont comiques, & qu’elles distraient le spectateur du respect qu’il doit avoir pour une action de Jésus-Christ, tandis que tout, dans le tableau, devroit tendre à inspirer ce respect.

Dans un tableau représentant le martyre d’un faint, tout doit concourir à faire entrer dans l’ame du spectateur le sentiment d’une douleur pieuse, à la vue des tourmens du héros qui a scellé sa foi de son sang. Le Dominiquin a donc manqué à l’expression relative, lorsque dans le martyre de saint André, il a représenté un bourreau qui est tombé en tirant une corde, & d’autres bourreaux qui le mocquent de lui par des gestes grossiers. Cette scène bur-


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