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miration accordé à Raphaël, au Correge, au Titiën, quoique le premier manque de la partie de la couleur, & de l’intelligence du clair-obscur ; que le second soit incorrect ; & le troisième, d’un choix souvent peu noble.

Il semble qu’on peut conclure, d’après de si grands hommes, que l’imitation la plus prochaine du vrai n’est pas le seul but de la peinture ; qu’elle acquiert un degré d’élévation supérieure par l’art qu’elle sait répandre sur la manière dont elle parvient à cette imitatition, & que c’est cet art même qui distingue & caractérise les hommes extraordinaires ([1]).

Que l’on parcoure les grandes parties de la peinture ; on y trouvera nombre de beautés essentielles d’un genre différent de celles qui suffiroient pour approcher le plus près possible du degré d’illusion dont elle est susceptible. Dans la composition, nous admirons principalement l’abondance du génie, le choix des attitudes qui présentent l’aspect le plus pittoresque & le plus gracieux ; l’adresse du contraste sans affectation ; cet enchaînement ingénieux des grouppes, soit pour réunir les lumières & trouver de grandes parties d’ombres, afin d’en obtenir les plus grands effets, soit pour disposer un tout, de manière qu’on n’en puisse rien ôter sans le déparer : sorte de poësie, par laquelle le génie se rend maître de la nature, pour l’assujettir à produire toutes les beautés dont l’art peut être susceptible. Et il est aisé de sentir que toutes ces parties n’ont qu’un rapport très éloigné à l’illusion proprement dite.

En effet, pour parvenir simplement à ce but, un génie froid & stérile d’ailleurs, qui saisiroit l’action nécessaire à donner à ses figures, & qui la rendroit avec vraisemblance, rempliroit également son objet. Les attitudes les plus naturelles & les plus simples, quoiqu’elles n’eussent rien de pittoresque & de gracieux, suffiroient. Toutes sortes d’aspects seroient égaux, dès qu’il ne s’agiroit que de les rendre avec vérité. Les contrastes ingénieux, l’enchaînement des grouppes & des masses, n’y ajouteroient aucun mérite. On peut toujours prétendre à être vrai, quelque disposition qu’on ait donnée à son sujet ; & les distributions parsemées, si désagréables à l’homme instruit, en sont également susceptibles.

A l’égard du dessin, pour atteindre à l’illusion, il n’a pas besoin de choix ni d’une correction savante au dessus de ce qui est apperçu dans la nature par les yeux les moins exercés. Il suffiroit d’y observer ces détails, quelquefois d’un goût mesquin, mais qui rappellent à l’esprit la nature la plus connue.


Le coloris le plus admiré n’est pas même toujours celui qui est le plus vrai. Il n’est sans doute pas véritablement beau, lorsqu’il s’éloigne trop sensiblement de la vérité ; mais il a besoin de beaucoup d’autres qualités, pour attirer l’éloge des connoisseurs. Il y faut de la fraîcheur, de la légèreté, une transparence dans certains tons, même au delà de ce que la nature en laisse appercevoir. Remarquons encore que les coloristes les plus estimés ont un peu outré les beautés qu’ils ont su voir dans la nature. Si quelques tons dans la chair tendent un peu au vermeil, à de légers bleuâtres, à des grisâtres argentins, ils les ont rendus plus sensibles, comme pour les indiquer aux spectateurs, & leur faire sentir le savoir qu’il y a à les découvrir, & à les rendre avec tant d’art ; c’eût été passer le but, si ce but consistoit simplement dans l’illusion.

Les oppositions de couleur, de lumière & d’ombres seroient encore superflues dans cette supposition, car la nature est toujours vraie, sans tous ces moyens de la rendre plus piquante. Ces suppressions de certaines lumières, que la vérité donneroit, & que l’art éteint, pour augmenter l’harmonie ou l’effet, seroient autant de défauts blâmables, quelque plaisir qui pût en résulter.

Ce n’est pas cependant qu’on prétende approuver ces couleurs factices qui ne sont en effet que le roman de la peinture. Ce qui s’éloigne absolument de la vérité, est toujours répréhensible. Mais c’est encore une preuve qu’il y a, dans cet art, des beautés indépendantes de l’exacte imitation du vrai. Et puisque souvent ces romans pleins de faussetés, mais agréables, plaisent à l’œil même du connoisseur, il en faut conclure que c’est la réunion de plusieurs de ces beautés étrangères à l’illusion, qui sorce en quelque manière à pardonner le défaut d’apparence de vérité.

L’une des plus grandes beautés de l’art, qui a encore moins de rapport avec l’illusion, puisqu’elle n’a pas même de fondement dans la nature, & qu’elle est uniquement l’effet du sentiment qui meut l’artiste en opérant, c’est cet art dans le travail, cette sûreté, cette facilité de maître, qui souvent fait toute la différence du vrai beau, de ce beau qui excite l’admiration, avec le médiocre qui nous laisse toujours froids. C’est ce faire (ainsi que le nomment les artistes) qui distingue l’original d’un grand maître d’avec la copie la mieux rendue, qui caractérise si bien les vrais talens de l’artiste, qu’une petite partie d’un tableau, même la moins intéressante, décèle au connoisseur que le morceau doit être d’un grand maître ([2]). C’est ce faire

  1. (1) Voyez l’article Imitation, extrait des écrits de deux grands maîtres de l’art.
  2. (1) Pour ce qui concerne l’importance du faire, il