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pendant, quoiqu’en différentes parties de l’europe, il se soit élevée de brillantes écoles de peinture, Rome seule cultive la mosaïque & la consacre à son plus bel usage. Le desir d’embellir le plus superbe des édifices où les chrétiens exercent leur culte, a fait concevoir & exécutér le projet d’y rendre les peintures autant & même plus duables que le solide monument qui les renferme. Mais, il en faut convenir, les Romains ont eu moins en vue les intérêts de l’art en lui-même, que ceux de l’édifice qu’ils se plaisoient à décorer, & l’ami des arts voit avec douler que le seul moyen de réparer le défaut trop sensible de la peinture, sa courte durée, est connu depuis long-temps, & est partout négligé.

Plus l’art de la peinture s’éloignera de la perfection qu’il atteignit dans des siècles fameux par la réunion des plus grands artistes, & plus on reconnoîtra douloureusement les funestres impressions du temps. Nous touchons à ces momens déplorables : les beaux tableaux de l’Italie s’altèrent ; il est des villes où cette dégradation est presque parvenue à son comble. Venise voit se dérober sous une obscurité profonde les chef-d’œuvres des Titiens, des Veroneses, des Tintorets, des Bassans : Bologne voit, d’année en année, disparoître le bel accord des tableaux des Carraches ; encore un ou deux siécles ; la correction ; la fierté, la profondeur de cette aimable & savante école ne seront plus appréciables que par des récits toujours vagues, des descriptions souvent inexactes, des souvenirs à demi-effacés, des copies imparfaites, des estampes qui présentant l’imitation de quelques parties, sans pouvoir supléer à celles qu’il ne leur est point accordé de reproduire.

Quels moyens pouront donc soutenir les arts dans leurs révolutions, ou les faire promtement renaître, s’ils venoient à périr, victimes encore une fois de la barbarie ? les sciences, les lettres se perpétueroient, parce que leurs productions multipliées par l’art de l’imprimerie, sont répandues dans presque toutes les parties de la terre, & que la barbarie ne pourroit les frapper toutes à la fois. Mais qui sauveroit, qui reproduiroit la peinture. La mosaïque seule peut rendre à cet art le même service, que les connoissances humaines doivent à l’imprimerie, & lui assurer la même durée, la même perpétuité.

Il ne faut pas se dissimuler cependant que les plus parfaites peintures modernes en mosaique ne sont que des copies. Mais les dessins & les estampes par lesquels on se propose de multiplier & de conserver les chefs-d’œuvres de l’art ne sont aussi que des copies, avec la différence que celles de la mosaïque offrent le sistême du coloris, joint au sistême de la composition que conservent les estampes, & au caractère


général du dessin qu’elles ne conservent pas aussi religieusement.

Dailleurs si l’on envisageoit une fois la mosaïque sous cet utile point du vue, les artistes jaloux de leur réputation dirigeroient eux-même avec soin les parties les plus essentielles des ouvrages qu’on fait en ce genre d’après leurs tableaux ; peut-être feroient-ils encore plus, & y mettroient-ils eux-même la main, sur-tout pour assurer la justesse du trait & de l’expression. C’est ainsi qu’ils ne dédaignent pas de corriger les copies dessinées ou peintes que l’on fait d’après eux, de conduire les graveurs qui travaillent d’après leur tableaux, & de faire sur les épreuves que les artistes font tirer de leurs planches ébauchées, des retouches qui les guident dans la suite de leurs traveaux.

D’habiles peintres vivans pouroient rendre ce bon office à la mémoire des grands maîtres qui ne sont plus, & dont les tableaux déjà dégradés menacent d’une prochaine & entière ruine. Mais il est temps d’apporter ce remède, déjà tardif, à l’entière destruction de tant de chefs-d’œuvre. Mais le zèle de quelques particuliers seroient impuissant à l’administrer ; il faut l’attendre de quelque prince ami des arts, ou de quelque ministre curieux d’éterniser la gloire qu’ils procurent aux nations qui les ont vu fleurir dans leur sein. Ce projet étoit digne de Colbert, & l’on peut croire qu’il l’auroit adopté s’il en avoit connu l’importance.

Le cabinet du roi de France renferme des chefs-d’œuvre nombreux des plus grands maîtres de l’Italie : les palais, les temples conservent les plus beaux tableaux des plus célèbres maîtres français : tant de trésors sont-ils condamnés à périr bientôt, lorsqu’on posséde le moyen de leur procurer une durée inaltérable, & de faire connoître leurs talens & leur génie à la postérité la plus reculée ?

Il faudroit qu’une fabrique, ou peut-être même une académie fût consacrée à cet objet. Pourquoi tant de jeunes gens qu’eux-mêmes, ou leur parens, destinent à la peinture, mais que la nature plus puissante destine à n’y avoir jamais que des succès médiocres, ne se consacreroient-ils pas à immortaliser les chefs-d’œuvre des grands maîtres quand ils auroient enfin reconnu qu’eux-mêmes ne sont pas nés pour en produire ? pourquoi ne chercheroient-ils pas à immortaliser leurs noms en les plaçant à côté des artistes immortels. Pourquoi dédaigneroient-ils la gloire d’apprendre à la postérité que leurs talens lui ont conservé les talens des Raphaëls, des Titiens, des Poussins, des le Sueurs ? on voit tous les jours des élèves qui s’étoient destinés d’abord à la peinture, se consacrer en suite à répandre par la gravure la gloire