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N É G tissement d’efforts, d’études, de travaux, de soin & d’attention.

Il n’est pas nécessaire d’entrer dans de grands détails sur des termes qui ne comportent que des observations très-générales ; mais il n’est pas inutile d’en rappeller au moins le souvenir à la plupart des Artistes.

Dans le nombre de ceux qui se négligent, c’est-à-dire, qui ne font pas tout l’emploi qu’ils pourroient faire de leur intelligence, de leur temps, de leurs soins, les uns sont entraînés par défaut de caractère, d’autres par défaut de santé ; quelques-uns, parce qu’ils ont peu de lumières & trop d’amour-propre, ce qui les aveugle également, ou bien ils se négligent en travaillant trop ou trop vite par cupidité, ou trop peu & d’une manière peu suivie, par le goût dominant, & devenu trop général aujourd’hui, des plaisirs & de la dissipation.

Il est difficile de remédier aux deux premières causes, le défaut de caractère & la privation de la santé. L’homme qui manque de caractère perd la plus grande partie de sa vie dans l’indécision de ses idées. Ce défaut est commun : il tient à l’humanité, souvent à la complexion, souvent à l’éducation, & il semble aussi parmi nous être un défaut national, au moins est-on autorisé à croire que l’esprit de la nation, porté assez & généralement au changement & à la légèreté, doit être moins propre aux applications suivies que s’il étoit plus grave & plus fixe. Ce défaut doit encore devenir plus sensible avec le temps & l’âge, car l’habitude l’augmente, & lorsque les forces & les facultés diminuent, il devient insurmontable.

Dire à un Artiste foible de tempérament, ou dont l’esprit a peu de ressort : soyez laborieux & actif, c’est à peu près comme si l’on exigeoit d’un homme engourdi, & qui n’a point de consistance, de marcher d’un pas ferme & sans s’arrêter.

Se négliger parce qu’on ne connoît pas l’importance de se surveiller & de s’exercer continuellement à la théorie ou à la pratique d’un art dans lequel il y a sans cesse à apprendre, c’est céder à une cause à peu près aussi absolue que celles dont j’ai parlé.

Il reste à parler des trois autres causes qui entraînent un assez grand nombre d’Artistes à se negliger ; savoir, l’opinion trop avantageuse qu’ils ont quelquefois de leur talent, la cupidité & le goût des plaisirs.

L’opinion trop favorable du talent dont on se trouve doué, est assez générale & naturelle à l’homme, parce que chacun s’occupe plus de soi que des autres, & que les comparaisons qu’on fait sont ou partiales ou incomplettes ; mais il faut convenir que cette bonne opinion est généralement plus exaltée chez les hommes


occupés des travaux auxquels l’imagination a part. L’imagination devient plus active, lorsqu’on l’exerce, & elle met de plus en plus un prix imaginaire à ses productions : L’invention qu’elle s’attribue sur-tout, quoiqu’au fonds elle ne puisse rien créer en effet, la porte à une vanité indéfinie.

Au reste le remède le plus puissant qu’on puisse opposer à la trop bonne opinion qu’un Artiste a de son talent, seroit de lui prouver que cette exagération est infiniment contraire au bon usage qu’il doit faire de son imagination.

J’ai indiqué la cupidité, comme une autre cause qui entraîne les Artistes à se négliger, & l’on peut observer qu’en se livrant à l’intérêt, c’est par trop d’activité que l’Artiste se néglige. La cupidité qui dégénère le plus souvent en avarice, est une sorte de furie qui, armée d’un fouet, force les Artistes qu’elle poursuit, non à travailler bien, mais à travailler beaucoup. Elle ajoute à l’ordre qu’elle leur en donne des raisonnemens faux & captieux : « Envisagez, leur dit-elle, la gloire & le profit. L’une vous promet des avantages ; l’autre vous les donne. Si vous vous attachez aux grands principes, si vous cherchez à atteindre aux beautés sublimes ; vous perdrez le temps si précieux où vous pouvez tirer parti de votre talent. Suivez donc le goût le plus général, fût-il mauvais : les Chinois, les Magots, les Pantins, les sujets fantasques sont-ils de mode ? Qu’importe ? oubliez, pendant que cette mode dure, les grands modèles, l’antique, la nature, & peignez tout ce qu’on demandera, non pour être lés après vous, mais pour être bien payez de votre vivant. »

Quelle réponse à ces raisonnemens ? une seule : si vous préférez le métier d’Artisan à celui d’Artiste ; faites ce que la cupidité vous ordonne. Lorsque l’esprit mercantile se répand universellement dans une nation, & que, se glissant dans les atteliers, dans les cabinets, parmi les Artistes & les savans, il attaque la gloire nationale : cette nation peut bien devenir plus riche, mais certainement elle commence à s’avilir.

Le goût des plaisirs, moins vil que la cupidité, plus naturel sans doute, & qui l’est d’autant plus, qu’il est excusé par la jeunesse, peut au moins, il faut en convenir, s’accomoder, jusqu’à un certain degré, avec les talens regardés comme agréables. Raphaël même fut esclave de l’amour : à trente-six ans il fut le premier des peintres qui avoient existé, & mérita d’être le modèle de ceux qui devoient naître ; mais le citer n’est pas autoriser les foiblesses, qui, trop communes dans l’histoire des Artistes, ne sont pas aussi bien rachetées.