Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/704

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G M B l’obscurité absolue, c’est seulement pour représenter des enfoncemens profonds, où la lumiére ne peut pénétrer. Mais l’ombre n’est que la privation de la lumière immédiate, & les parties ombrées sont encore éclairées par la lumière éparse dans l’air.

Que l’on regarde un objet éclairé par la lumière immédiate du soleil, les parties enveloppées de l’ombre y seront très-marquées. Cependant ces parties, obscures par opposition à la clarté brillante de celles qui sont frappées du soleil, seront si loin d’être d’une obscurité absolue, qu’elles auront précisément le même degré de lumière que les parties éclairées dans une campagne qui seroit à l’abri du soleil. Pour voir bien distinctement ces parties ombrées, & en discerner aussi bien les détails que si elles étoient lumineuses, il suffit de se placer de manière à pouvoir les considérer seules. Si vous vous promenez au soleil dans une campagne, les parties ombrées vous paroissent obscures : promenez-vous ensuite à l’ombre, ces mêmes parties perdront à vos yeux toute leur obscurité. Alors tournez le dos à la partie éclairée du soleil, & vous verrez dans la partie ombrée où vous êtes des lumières, des ombres & des reflets. Il faut donc reconnoître avec Félibien, que l’ombre n’est qu’un léger nuage qui couvre les corps & les prive seulement de la lumière la plus brillante, sans empêcher que, par le secours d’une autre lumière moins forte, on n’apperçoive les formes & les couleurs. Aussi voit-on dans les tableaux du Titien, que la lumière est doucement & largement répandue sur les parties éclairées, & que les parties ombrées paroissent seulement interceptées par un nuage subtil qui les couvre sans les cacher.

Les préceptes de Dandré Bardon, s’accordent avez ce que nous venons d’établir. « Les ombres donnent, dit-il, aux demi-teintes l’éclat dont celles-ci font briller les lumières. Elles seront traitées d’un ton vague, par masses plates, & n’offriront que de très-légers détails des objets qu’elles voileront. »

Quoique les ombres ne soient pas ténébreuses, quoiqu’il y ait, comme nous l’avons démontré, des moyens d’y reconnoître les détails aussi nettement que dans les parties lumineuses, le savant professeur recommande, avec raison, de n’accuser que légèrement ces détails dans l’ouvrage de l’art. Son principe est fondé sur l’aspect de la nature. En effet, si vous regardez un objet dans son ensemble, c’est-à-dire, à la fois & d’un seul coup d’œil dans ses parties lumineuses & dans ses parties ombrées, l’éclat des premières fera que vous n’appercevrez que légèrement les détails des autres. Ce seroit donc une faute contre la nature considérée grandement & d’un coup


d’œil vaste, que de prononcer les détails dans les ombres comme sur les jours : ce seroit le procédé d’un artiste qui ne considéreroit la nature que par petites parties, & qui, après avoir imité celles qui sont éclairées, s’approcheroit de celles qui sont dans l’ombre pour en étudier mesquinement tous les détails. En se piquant d’exprimer tout ce qu’il peut voir dans la nature, il mentiroit en effet contre la nature : mais continuons d’écouter le professeur.

« C’est, dit-il, de l’uniformité des couleurs des ombres, que naît l’harmonie d’un tout ensemble. Il est néanmoins convenable que tous les corps y conservent la nuance caractéristique qu’ils tiennent de la nature avec les modifications que la privation du jour peut leur donner. Qu’on ne s’y trompe pas ; nous parlons des ombres légères & refletées, telles que les produit le naturel éclairé par les rayons de l’astre du jour ; des ombres qui doivent établir leurs effets, moins par leur obscurité que par leur étendue, enfin des ombres qui sont susceptibles des différentes nuances qu’exige l’intérêt de l’ouvrage ; car tout est relatif. Les ombres ne doivent être obscures qu’à raison de la vaguesse des demi-teintes ; & les demi-teintes ne doivent être sourdes qu’à raison de la vivacité des clairs. Il est aisé de conclure qu’en pratiquant ces principes, on peut faire un tableau très-lumineux, tel qu’on en voit de Romanelli, quoique l’étendue des ombres soit à peu près aussi considérable que le volume réuni des demi-teintes & des lumières. »

« Dans une composition, continue Dandré Bardon, il doit y avoir des ombres principales & des ombres dégradées relativement à leurs sites, & aux objets qui les environnent. Les plus vigoureuses auront leur place dans les endroits voisins des plus brillantes lumières, & dans ceux qui seront le moins refletés. « « Quelquefois les masses les plus brunes occupent les sites les plus éloignés : alors les plus proches de l’œil, ceux qui sont sur les premiers plans du tableau, ne reçoivent de vivacité que par les touches. « « Que la marche des ombres soit diagonale, & les effets triangulaires comme ceux des lumières. La progression de celles-ci doit servir de modèle aux autres, afin que les clairs & les bruns formant entr’eux une balance, concourent mutuellement à l’équilibre de la composition ; la qualité des ombres dépend de l’élévation plus ou moins considérable d’où part la lumière qui les occasionne, & de la proximité du corps qui les produit : aussi sont-elles plus vives, plus obscures & plus prononcées dans un endroit

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