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PAN métamorphose, ont voulu indiquer le silence & l’immobilité de la profonde mélancolie. La douleur d’une mere, si cruellement privée de tous ses enfans, doit en effet être immobile, l’ame est plongée toute entiere dans la contemplation de son malheureux sort ; & comme elle n’est occupée que d’une seule idée, le corps entier doit, par analogie, n’avoir qu’une seul attitude. De-là résulte l’insensibilité ; car une mélancolie profonde, & livrée à ses idées sombres ; est indifférente à tout ce qui l’entoure ; elle ne voit point les actions d’autrui, elle n’en entend pas les discours ; aucun objet ne peut lui faire lever ses regards plongés sur la terre.

Le commencement de cette immobilité, de cette insensibilité qui se manifestent lorsque la mélancolie est parvenu au suprême degré, s’annonce déja par une certaine nonchalance, une certaine froideur, dans l’homme qui est saisi par la tristesse. Tout en lui s’affaisse : la tête foible & lourde tombe du côté du cœur ; les jointures de l’épine dorsale, du col, des bras, des doigts, des genoux sont relâchées ; les joues sont décolorées, & les yeux attachées sur l’objet qui cause la tristesse ; ou, s’il est absent, les regards se fixent vers la terre ; tout le corps même s’y penche ; le mouvement de tous les membres est lent, sans force & sans vie ; la marche est embarrassée, lourde & si traînante qu’on diroit que des liens empêchent les jambes de faire leurs fonctions. Comme on ne prend plus d’intérêt aux objets environnans, on néglige le soin de plaire, & par conséquent on néglige ses vêtemens & sa chevelure. Ajoutez à ces traits la pâleur des joues, la tête souvent légerement soutenue par la main, à la hauteur du front, & dans cette attitude, les yeux couverts par les doigts, la bouche ouverte, la respiration lente, entrecoupée par de profonds soupirs.

Tout, dans la tristesse, marque l’abbattement ; tout, dans la souffrance, marque l’activité. Les traits du visage & les mouvemens décelent le combat intérieur de l’ame avec le sentiment du mal. L’homme qui souffre n’est pas, comme le mélancolique, dans un état de foiblesse ; mais dans un état d’oppression & d’angoisses. Les angles des sourcils s’élevent vers le milieu du front ridé, & vont, pour ainsi dire, au devant du cerveau troublé & ag par une forte tension ; tous les muscles du visage sont tendus & en mouvement ; l’œil est rempli de feu, mais ce feu est vague & vacillant ; la poitrine s’éleve rapidement & avec violence ; la marche est pressée & pesante ; tout le corps s’allonge, s’étend & se contourne, comme s’il avoit un assaut général à soutenir ; la tête, jettée en arrière, se tourne de côté en jettant un regard suppliant vers le ciel ; les épaules s’élevent avec une violente contraction ; tous


les muscles des bras, des jambes se roidissent les doigts, les orteils éprouvent différentes contractions convulsives suivant l’intensité de la douleur. Lorsque les pleurs coulent, ce ne sont pas ces larmes gonflées & isolées qui s’échappent des yeux de l’homme qui n’a pu assouvir sa colere ; ce ne sont pas non plus ces larmes douces & silencieuses du mélancolique, qui d’elles-même coulent des vaisseaux pleins & relâchés ; c’est un torrent qu’une commotion visible de la machine entière & les secousses convulsives de tous les muscles du virage expriment avec force des glandes lacrymales.

La souffrance ayant par sa nature tant d’activité, on comprendra que, même dans ses attaques médiocrement violentes, l’homme doit se livrer à toute sorte de mouvemens indéterminés, & que, s’agitant dans tous les sens, tantôt-ils s’élancera en suivant des directions irrégulieres, tantôt-il errera à l’aventure, tourmenté par son anxiété. L’individu qui souffre ressemble au malade qui, éprouvant dans toutes les situations des inquiétudes & un malaise, espère toujours trouver une place moins incommode, & qui toujours, se tournant de côté & d’autre, la cherche sans jamais la rencontrer. Lorsque la souffrance va jusqu’au désespoir, alors ces mouvemens irréguliers, causés par une anxiété intérieure, devnent violens : dans cet état, l’homme se jette à terre, se roule dans la poussiere, s’arrache les cheveux, se déchire le front & le sein.

Il y a des affections qui s’expriment par un nom simple, & qui cependant sont réellement composées.

La gratitude est de ce nombre. Quel que soit le motif qui détermine un cœur reconnoissant à la manifester, elle ne peut se caractériser par des traits qui lui soient propres ; & si elle ne se manifeste pas simplement sous les traits de l’amour ou de la vénération, il faut qu’elle adopte une nuance intermédiaire qui tienne de ces deux sentimens, parcequ’en effet, elle est composée de l’un & de l’autre.

La pitié ne peut se rendre que par le jeu composé de l’expression de la bonté & de la souffrance, puisqu’elle consiste en une bonté qui nous fait souffrir au spectacle des maux d’autrui.

L’envie ne peut se distinguer de la souffrance & de la haine, que par le desir accessoire de se cacher à tous les yeux, & par le regard furtif & baissé de cette honte qui, dans une ame encore tant soit peu sensible, accompagne toujours cette passion basse & méprisable.

Le soupçon ne se trahira qu’en ajoutant à l’expression du chagrin secret, le regard sournois & inquiet de la curiosité, & en faisant prêter à l’homme soupçonneux avec anxieté l’oreille