Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/779

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

6 $6

P E I le supposent les modernes. Il se distingua entre les peintres de l’antiquité, par la bonne entente de la composition. La réputation dont il jouissoit lui permit de mettre ses leçons à un très haut prix. Il prenoit ses éleves pour dix ans, & en exigeoit un talent, qui faisoit 5400 livres de notre monnoie. Il donna tant de lustre à la peinture, que d’abord à Sicyone, & ensuite dans toute la Grece, elle fut mise au premier rang entre les arts libéraux, & que tous les jeunes gens bien nés apprirent à dessiner. On se servoit pour ces dessins élémentaires de tablettes de buis ; après avoir couvert la tablette d’une étude, on la nétoyoit pour y faire une étude nouvelle, & les éleves n’avoient pas le plaisir de conserver leurs dessins, comme ils peuvent le faire depuis l’invention du papier. L’art de la peinture conserva la gloire que Pamphile lui avoir acquise, il n’y eut que des ingénus qui pussent l’exercer, & ensuite que des gens de la condition la plus honnête ; il fut toujours interdit aux esclaves ; il étoit réservé aux Romains de le dégrader en le faisant exercer par des mains serviles. Cet usage fit perdre, sans doute, quelques bons artistes qu’auroit pu fournir les dernières classes de la société : mais il en résulta un avantage ; c’est que la peinture n’étant une profession honorable & lucrative que pour ceux qui j’exercent avec distinction, cet art ne fut pas dégradé chez les Grecs par la misère d’une foule de peintres sans talent. Ceux qui avoient fait sans succès les premières études de cet art l’abandonnoient, parce qu’il n’étoit pas leur seule ressource.

Pamphile traita des sujets de grande machine, tels que le combat de Phliunte & la victoire des Athéniens. Il peignoit à l’encaustique.

(17) ARLSTIDE de Thebes, éleve d’Euxénidas, devoit être à peu - près de l’âge do Pamphile & vécut assez pour être témoin des succès d’Apelles. Il se distingua par l’expression, & fut le premier de tous les artistes pour bien peindre les affections & les troubles de l’ame. Il représenta, dans le sac d’une ville, un enfant qui se traînoit vers la mamelle blessée de sa mère mourante ; il restoit encore à la mère assez de sentiment pour qu’on s’apperçût de la crainte qu’elle éprouvoit que l’enfant ne suçât du sang au lieu de lait. Il peignit un suppliant à qui il ne manquoit que de pouvoir faire entendre sa voix ; un malade sur les louanges duquel on ne pouvoit tarir. Il travailloit à l’encaustique & fit de très grandes machines, entr’autres tin tableau représentant un combat contre les Perses, dans lequel il n’y avoit pas moins de cent figures. Chaque figure lui étoit payée to mines ou 900 livres de notre monnoie ; ainsi le tableau de cent figures lui rap-


porta 90 mille de nos livres, qui lui furent payées par Mnason, tyran d’Elatée. On lui reprochoit de la dureté dans le coloris.

Les Romains avoit si peu de connoissance des arts lorsqu’ils prirent Corinthe, que le consul Mummius, voyant le Roi Attale acheter six mille sesterces un tableau d’Aristide, se figura qu’il y avoit dans cette peinture quelque vertu secrette qu’il ne connoissoit pas, & le retira malgré les plaintes d’Attale. Les Romains sentoient alors si peu le prix de la peinture, qu’à la prise de cette ville, les tableaux furent jettés confusément par terre, & les soldats s’en servoient comme de tables pour jouer aux dez.

(18) APELLES, né à Ephese, mais originaire de Colophon, celui de tous les peintres anciens qui jouit de la plus grande célébrité. Pline & Ovide lui donnent pour patrie l’isle de Cos. Par les livres qu’il écrivit sur son art, & qu’il adressa à son eleve Persée, il contribua aux progrès de la peinture. Pamphile, son maître, avoit écrit aussi sur la peinture & sur les peintres.

Jamais artiste n’étudia son art avec tant de soin qu’Apelles. Quelqu’affaire dont il pût être occupé, il ne laissoit passer aucun jour sans faire quelques études. Il avoit eu d’abord pour maître Ephore d’Ephese ; curieux de se former à une plus grande école, il entra dans celle de Pamphile. Après y avoir passé dix années entières, & jouissant déjà de l’admiration des connoisseurs, il ne put être satisfait qu’il n’eût visité l’école de Sicyone qui se soutenoit encore, & qui passoit même pour conserver seule les grands principes de la beauté. Malgré toute la réputation dont il jouissoit, il ne crut pas s’humilier en donnant tin talent aux peintres de cette école pour en recevoir des leçons. Plutarque ajoute, il est vrai, qu’il songeoit plutôt à partager leur glaire que leurs lumières, dont il n’avoit pas grand besoin. Il falloit alors, pour imposer silence aux malveillans, avoir fréquenté l’école de Sicyone, comme, à présent, il faut avoir été à Rome.

Quand il avoit terminé un ouvrage, il l’exposoit en public, non pour respirer la fumée des éloges, mais pour recueillir la critique & pour en profiter. Il avoit même soin de se tenir cache derriere le panneau, pour que sa présence ne genât pas les propos des spectateurs. Critiqué un jour par un cordonnier parce qu’il avoir mis une courroie de moins qu’il n’en falloit à une chaussure, il se corrigea, & exposa le lendemain le même tableau. Le cordonnier, fier de s’être montré si bon juge, s’avisa de critiquer la jambe : mais alors Apelles se montra & lui dit, “cordonnier, ne monte