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P E ï pas plus haut que la chaussure.” Ce bon mot est passé en proverbe.

Quoiqu’il ne craignît pas, & que même il cherchât la critique, & que d’ailleurs il fût de la plus grande politesse, il se permettoit quelquefois de railler ces hommes qui croyent devoir être connoisseurs dans les arts, parce qu’ils sont riches & d’un état distingué. Un jour Mégabize ; prêtre du temple de Diane à Ephese, se trouvant dans l’attelier du peintre, s’avisa de raisonner sur la peinture. « Prenez-garde, lui dit Apelles ; il y a là de petits broyeurs de couleurs qui vous entendent & se mocquent de vous. » Pline prétend que ce mot fut adressé à Alexandre : c’est faire l’éloge du prince qui ne s’en offensa pas.

Apelles aimoit à railler. Un de ses éleves lui montra un jour une Hélene qu’il avoit chargée d’or : « Jeune homme, lui dit-il, ne pouvant la faire belle, tu l’as fait riche. »

Un peintre lui faisoit voir un méchant tableau & se vantoit se de n’avoir mis que peu de temps à le faire : « Je le crois bien, lui dit Apelles, & tout ce qui m’étonne, c’est que dans le même temps, vous n’ayez pas fait encore plus d’ouvrage. »

Le cheval d’Alexandre hennit par hazard devant un portrait de ce prince fait par Apelles, & dont le héros n’étoit pas content. « Votre cheval, lui dit le peintre, se connoit mieux que vous en peinture. »

On a beaucoup parlé de son voyage à Rhodes, de sa visite au peintre Protogenes qui y demeuroit & qu’il ne trouva pas, de la ligne trèsfine qu’il traça sur un panneau que Protogenes, de retour, fendit par une ligne encore plus fine, & qu’Apelles refendit par une ligne plus subtile encore. On peut voir, sur ce fait assez peu important, l’article LIGNE d’Apelles.

Apelles étoit modeste, mais il n’avoit pas la modestie affectée dont on se pare sans tromper pet personne. Il reconnoissoit, il célébroit les talens de ses rivaux ; il avouait que les plus habiles d’entr’eux possédoient aussi bien que lui toutes les parties de l’art, excepté une seule ; la grace. Ce mérite qu’il s’attribuoit, lui a été accordé par tous ceux qui ont pu voir ses ouvrages. Il seroit difficile de refuser aux Grecs d’avoirtété de bons juges dans cette partie.

Loin d’être jaloux de ses émules & d’employer pour leur nuire ces cabales, ces démarches sourdes, trop familieres aux hommes à talens, lui-même travailloit à leur réputation. Protogenes étoit pauvre ; ses concitoyens le récompensoient mal, parce qu’ils ne sentoient pas son mérite ; Apelles lui offrit cinquante talens de ses ouvrages, & dès-lors on recon-


nut le talent d’un artiste qu’on artiste célèbre payoit si cherement : il fallut, pour avoir de ses ouvrages, renchérir sur le prix qu’Apelles avoir fixé.

Il a fait un très-grand nombre d’ouvrages. Il réussissoit parfaitement dans le portrait, & a fait nombre de fois celui d’Alexandre. Des écrivains qui ont vécu longtemps après notre artiste, ont assuré que lui seul avoit la permission de peindre ce conquérant.

Les plus estimés de ses tableaux étoient le Roi Anrigone à cheval, & Diane au milieu d’un chœur de vierges qui lui sacrifioient. C’est le seul de ses ouvrages, de ceux du moins dont on a conservé le nom, qui exigeât un grand nombre de figures.

Je crois que les anciens, qui ne traitoient que des compositions fort simples, ne cherchoient pas à briller en affectant la science des raccourcis ; mais cependant ils ne les évitoient pas toujours. Pline parle d’un tableau d Apelles placé dans le temple de Diane d’Ephese ; il représentoit Alexandre tenant un foudre : les doigts sembloient s’avancer, & le foudre sortir du tableau : ce qui suppose un raccourci capable de faire la plus grande illusion.

On célébroit encore, entre les ouvrages d’Apelles, la Vénus sortant des eaux, qu’on appelloit Vénus Anadyomene. La partie inféleure de ce tableau fut gâtée par le temps, & il ne se présenta aucun peintre qui osât tenter de la racommoder. Il travailloit, lorsqu’il mourut, à une autre Vénus destinée pour l’île de Cos ; & vouloit, par cet ouvrage, surpasser sa première Vénus : la mort ne lui permit pas de le finit, & personne n’osa le terminer en suivant son ébauche. L’extrême beauté de la tête ôtoit l’espérance de faire un corps qui méritât de lui être associé.

Apelles, comme les peintres qui l’avoient précedé, travailloit à l’encaustique, & n’employoit que quatre couleurs ; cependant avec ces quatre seules couleurs il représenta l’éclair & le tonnerre, avec assez de succès au moins pour que les anciens ayent vanté cet effort de l’art. C’est que le clair-obscur a bien autant de part à ces grands effets que l’extrême variété des teintes. On connoît dans cette partie les succès de la gravure qui n’a d’autres ressources que l’opposition du noir & du blanc.

On raconte qu’Apelles devint amoureux de Campaspe ou Pancaste, en faisant le portrait de cette maîtresse d’Alexandre qui le lui avoit demandé, & que le héros sacrifia son amour au bonheur de l’artiste. Bayle & M. Falconet répandent un doute au moins très-bien fondé sur la vérité de ce récit.

(19) PROTOGENES de Caune, ville soumise