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qui représente le crucifiement de Saint Pierre ; il le soutint par son martyre de Saint André qui est placé dans la Cathédrale de Chartres. Il fut chargé de six grands tableaux pour la paroisse de Saint Gervais : mais s’étant permis, dans un café, quelques plaisanteries sur le Saint dont il devoit représenter l’histoire, on lui ôta cette entreprise, & il eut seulement la permission de finir le tableau qu’il avoit commencé.

On eût dit, en voyant ces ouvrages, que la nature l’avoit uniquement destiné au grand, & sa gloire seroit encore plus brillante s’il avoit eu la sagesse de s’y fixer : niais son esprit variable le rappelloit aux genres vers lesquels la nécessité l’avoit contraint à Rome de s’abbaisser, & l’on vit l’artiste qui décoroit avec tant d’applaudissemens les temples, humilier son pinceau en le consacrant à des bambochades. Ces ouvrages, faits promptement, lui étoient bien payés, mais ils nuisoient à son talent en accoutumant son esprit à n’être pas toujours occupé de grandes choses.

Cependant les arts amis de la paix furent troublés en France par les mouvemens de la fronde. Bourdon fut appellé en Suéde par Christine & eut le titre de premier peintre de cette reine ; mais le premier peintre n’eut à faire que des portraits, nouvelle distraction aux conceptions sublimes du peintre d’histoire. il fit le portrait de Christine à cheval : cette reine le décora de la qualité de son envoyé pour présenter cet ouvrage au roi d’Espagne. Bourdon prit sa route par Paris ; & il y apprit que le vaisseau chargé du portrait avoit fait naufrage, que Christine avoit embrassé le catholicisme, qu’elle se préparoit à quitter la Suéde. Les troublés de la fronde étoient calmés, il trouvoit de l’occupation & se consola sans peine de la fortune qu’il avoit perdue. Ce fut alors qu’il fit, pour le maître-autel de la paroisse de Saint Benoît, un Christ mort aux pieds de la Vierge, ouvrage qui suffiroit pour justifier la plus grande reputation. Après un voyage à Montpellier, où il se transporta avec toute sa famille, & où il laissa des ouvrages considérables, il revint à Paris, & y travailla moins pour les François que pour les étrangers. Il peignit cependant la galerie de l’hôtel de Bretonvilliers, & déploya dans cet ouvrage la facilité de son génie : mais cet hôtel devint par la suite l’un de ceux des fermes, & les peintures y sont tombées dans le plus grand délabrement.

Bourdon avoit reçu de la nature un très beau génie, une très riche imagination : mais sa vivacité naturelle ne lui permettoit pas d’apporter à ses ouvrages cette réfléxion profonde qui donne tant de prix à ceux de Raphaël, du Poussin, &c. elle ne lui laissoit même pas la patience de terminer suffisamment ce qu’il


avoit conçu. Il falloit que ses pensées fussent jettées sur la toile comme des traits de feu, & les morceaux qu’il a le plus finis ne sont pas les plus beaux. Il avoit une certaine bizarrerie dans le caractère qui le portoit sur ses ouvrages & qu’on remarque dans ses plus belles compositions ; mais on aime leur air sauvage, & elles sont animées d’une expression vive qui leur donne un grand prix : cette même singularité qui caractérise ses compositions, se retrouvoit aussi dans son exécution : quelquefois pour rendre certains objets & sur tout les poils, il se servoit de l’ente de son pinceau, avec laquelle il decouvroit l’impression. Il se laissoit volontiers emporter par son extrême facilité ; il paria une fois de faire douze têtes d’après nature en un jour, & gagna le pari : ces têtes n’étoient même pas des moins belles qu’il eût faites, mais on fait que ce n’étoit pas avec cette promptitude que Raphaël faisoit les siennes. Le caprice regnoit dans sa conduite comme dans ses compositions : tantôt il se livroit à la société & y portoit les agrémens de son humeur enjouée ; tantôt il se plongeoit dans un travail opiniâtre, se renfermant dans un grenier qui lui servoit d’attelier, en tirant l’échelle pour que personne n’y pût entrer, & n’en sortant pas lui-même d’un mois entier. Il ne pouvoit se fixer à aucun genre, à aucune manière. Il parcouroit l’histoire, le paysage, la bambochade ; il se proposoit d’imiter le faire d’un nombre de maîtres différens, ayant tantôt en vue le coloris du Titien, tantôt les ordonnances du Poussin, tantôt les singularités piquantes du Benedette ; & ne s’arrêtant assez à aucun genre, à aucune manière, pour y atteindre à la perfection. Quand il revint d’Italie, il cherchoit A imiter la manière Lombarde, mais on lui desiroit plus de correction : les années qu’il avoit passées en Italie, avoient été employées aux travaux que lui imposoit la nécessité de vivre, & perdues pour l’étude. Il s’apperçut de ce qui lui manquoit : il se mit à faire une étude plus sérieuse du dessin : c’étoit poser trop tard les fondemens de l’art, lorsqu’il éroit distrait par le besoin de l’exercer. Il conserve donc toujours de grands défauts ; mais comme il avoit de grandes beautés, & même des beautés qui lui appartenoient & qui tenoient à ces défauts eux mêmes, on ne peut lui refuser une place très honorable entre les grands peintres. Il auroit été peut-être plus parfait, s’il avoit eu moins de mémoire ; il étoit gêné par toutes les beautés dont il avoit conserve le souvenir & qu’il vouloit imiter. Le Bourdon est plus estimé de la postérité qu’il ne l’étoit de ses contemporains ; c’est ce qu’on ne peut dire que d’un bien petit nombre d’artistes. Il est mort à Paris en 1671, âgé de cinquante-cinq ans.