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QUALITÉ (subst. fem.) Quoiqu’il y ait des qualités propres à l’exercice des beaux arts, il ne faut pas adopter le préjugé si rebattu, qu’il en existe de spéciales, pour chacun d’eux. On ne cesse cependant de repéter qu.1 faut être né poëte, & qu’il faut être né peintre. Cette assertion charmante en vers est, dans le sens rigoureux, une idée fort déraisonnable. La nature nous a tous faits laboureurs. Elle a donné, il est vrai, l’imagination & l’intelligence à quelques hommes qui, par-là, sont devenus propres à diriger leurs semblables, à 1es instruire, & à mettre leurs passions en mouvement. De ces dons particuliers à quelques individus, sont nés le, talens divers dont les espèces se sont modifiées selon les différentes circonstances des tems, des climats & des esprits qui s’en sont occupés. Ainsi, un homme né avec une imagination brillante, une ame sensible, une perception délicate & rapide, a pu être orateur comme poëte. Et si, à ces dons, il a joint une adresse de main propre à exprimer pour les yeux ce qu’il avoit conçu, au lieu d’être orateur ou poëte, cet homme a pu devenir statuaire ou peintre.

C’est la réunion de l’intelligence avec la disposition de la main, qui peut faire un artiste ; c’est ce qui le caractérise & le distingue de l’orateur & du poete. Aussi cette définition dolt-elic naturellement diviser tout ce que nous avons à dire sur les qualités que demandent les beaux-arts.

Avant que d’entrer dans les détails que nous méditons sur cette matiere intéressante, il est bon de prouver, en peu de mots, que cette phrase ([1]), il faut être né peintre, est démentie par la marche lente & pénible de l’art, & par la barbarie & le peu d’effet de ses premiers essais.

Cette expression hardie seroit encore plus applicable à la poésie & à l’éloquence : car malgré les incorrections que l’ignorance des premiers tems laissoit dans les discourt, & les poésies des hommes qui s’en sont d’abord occupes, ils ont dû jouir d’une supériorité marquée & produire des impressions victorieuses au sein des premières sociétés.

Quant à l’art, il n’est pas possible d’adopter


le fait avancé par Platon ([2]) : savoir, qu’il se voyoit en Égypte des ouvrages de peinture & de sculpture faits depuis dix mille ans, qui n’étoient ni plus, ni moins beaux que ceux du temps où il vivoit. Tant de vérités démentent cette assertion, sans parler des preuves non-récusables que nous en donnent les bronzes égyptiens que l’on possède encore, que nous ne nous arrêterons pas ([3]).

Le vrai, c’est que l’art n’a pu se montrer avanrageusement, & n’a pu plaire, qu’après les efforts rassemblés de l’industrie humaine ; efforts soutenus pendant une suite de siècles. La peinture & la sculpture, portées au genre sublime, sont plis loin de toutes les dispositions que l’homme peut apporter pour l’imitation, que les dons naturels pour la parole, ne sont éloignés des talens perfectionnés du poëte & de l’orateur.

Les nations les plus sauvages ont eu leurs chantres, leurs législateurs & leurs prophêtes ; & quelquefois sans avoir eu de communication les unes avoir les autres. Mais l’art, né en un lieu, & souvent du hasard, n’a pu se répandre & croître en force & en beauté, sans avoir été perfectionné par des générations successives & fort multipliées.

Faut-il s’en étonner ? Pour montrer des objets palpables, & les choisir avec une déli-

  1. (1) Wattelet, poëme sur la peinture.
  2. (1) Plat. Loix, l 2.
  3. (2) Voyez ce qui est dit sur les obstacles qui s’opposoient aux progrès des arts chez les Egyptiens, dans l’article PEINTURE, sous le titre : Peinture des Egyptiens, & dans le premier article Sculpture, sous le titre : Sculpture chez les Egyptiens. Il faut distinguer entre les bronzes & autres ouvrages égyptiens qui nous restent, ceux qui ont été faits sous la domination des rois Grecs, successeurs d’Alexandre, & qui ne prouvent tien conter ce qui a été avancé par Platon. Au contraire, le passage du philosophe peut aider à faire cette distinction. La loi d’Égypte qui défendoit aux artistes de s’écarter en rien de ce qu’avoient fait leurs prédécesseurs, explique l’état d’immobilité qu’éprouvèrent les arts dans cette contrée. Enfin, suivant les règles de la saine critique, le témoignage de Platon qui avoit vu l’Égypte, qui avoit pu y comparer avec les gens du pays les ouvrages qui passoient pour avoir une grande antiquité, & ceux qui se faisoient sous ses yeux, ce témoignage, dis-je, a plus de poids que les conjectures contraires que pourroient se permettre les modernes, & suffit pour leur interdire ces conjectures. On peut seulement ne pas prendre à la rigueur le terme de dix mille ans donné par Platon aux anciens ouvrages de l’Égypte, & regarder ce terme comme l’expression d’une antiquité très-reculée. (Note du Rédacteur.)