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dessus de son âge, lui conseillèrent de faire ses modèles en secret, & de les envoyer encaissés comme s’ils arrivoient de Gènes. Le jour du jugement arrive ; les modèles des concurrens sont exposés ; ceux de le Gros sont tirés de leurs caisses : artistes, amateurs, tous admirent l’ouvrage de l’artiste étranger ; tous lui adjugent unanimement le prix, & apprennent avec étonnement que l’inconnu est ce jeune le Gros dont ils auroient peut-être blâmé l’audace, s’il leur avoit été nommé plutôt. Cet événement fit si réputation, & il sut bien la conserver.

Il ne tarda pas à faire le fameux bas-relief où le Bienheureux Louis de Gonzague est représenté dans la gloire. « Il est composé, dit Dandré Bardon, de deux grouppes saillans liés par des objets intermédiaires de différens reliefs. Dans le grouppe principal, le héros, tout-à-fait isolé dans sa partie supérieure, & détaché sur un ciel qui lui sert de fond, est porté sur un trône de nuées soutenu par des anges. C’est par les tournas de la figure, & par les fuyans des nuages, que les objets accessoires conduisent cette masse jusqu’au champ du bas-relief. Un même artifice dirige les effets produits par les chérubins qui forment le second grouppe. Les ailes étendues du principal émissaire céleste, ses draperies voltigeantes, les nuées qui l’environnent, les anges qui l’accompagnent, concourent successivement au stratagême du ciseau. Eh ! quels accidens de lumière n’en résulte-t-il pas ? De grandes masses de jours & d’ombres, des parties de demi-teintes très-étendues qui les sont valoir, des échos qui les rappellent, jettent dans l’ouvrage les charmes du clair-obscur. Des travaux variés & finis, des piquans répandus, des noirs fouillés dans les objets des premiers sites, un faire savamment négligé, & presqu’effacé, des légèretés, des indécisions ménagées avec adresse dans les parties fuyantes, l’embellissent des charmes de la vérité. On croit voir l’air rouler autour des corps, & tous les corps se mouvoir dans les airs. Quelle magie produit une illusion plus séduisante ? N’est-ce pas l’industrie avec laquelle on expose les différens reliefs, qui prête le mouvement aux objets ? Sans doute l’œil attiré successivement sur les divers points présentés par la rondeur des figures, croit voir en elles l’action qu’il se donne pour en parcourir les beautés. Tel un voyageur, du sein d’un navire, croit appercevoir les bords de la mer fuir loin de lui, tandis que c’est lui-même qui s’en éloigne. »

On compte aussi au nombre des célèbres ouvrages de le Gros, la figure de Saint Stanislas. Il est représenté de grandeur naturelle & couché sur le lit de mort : sa tête, ses mains, ses


pieds sont de marbre blanc, sa robe de marbre noir, & son lit de marbre sicilien de différentes couleurs ; exemple qu’il ne faudroit pas imiter. L’objet de la sculpture n’est pas d’exprimer la couleur propre, & chez elle ces sortes de recherches de la vérité ne sont que rendre le mensonge plus sensible. Si le marbre noir peut imiter la couleur de la robe d’un jésuite, le marbre blanc ne peut imiter celle de la chair. Ces bigarrures de marbres variés ont quelque chose de gothique : ce n’est pas elles que les vrais connoisseurs admirent dans l’ouvrage de le Gros, mais l’art par lequel il les a réparées.

La rivalité avec ce grand statuaire, ne pouvoit plus choquer les plus habiles sculpteurs ; ils durent le voir sans envie concourir avec eux pour la décoration de Saint Jean de Latran, & faire les statues des apôtres Saint Thomas & Saint Barthelemi. Sa statue de Saint Dominique, dans la basilique de Saint Pierre,. est comptée au nombre des chefs-d’œuvre de Rome.

Il venoit de la terminer, quand il voulut revoir sa patrie où il ne devoit pas recevoir l’accueil qu’il méritoit. Il y décora l’hôtel de Crozat, qui a été depuis celui de Choiseul, & qu’on a détruit avec les ouvrages de notre artiste, pour bâtir la salle de la Comédie Italienne. Il fit aussi quelques sculptures à Montmorency.

On ne peut assurer s’il fit pendant ce séjour, ou s’il envoya de Rome cette belle figure représentant une Dame Romaine, que l’on voit au jardin des Tuileries, & que les artistes regardent comme un monument précieux de la science & du grand goût de ce statuaire. Il est vrai qu’une figure antique lui en a inspiré l’idée ; mais la gloire du succès lui reste tout entière, & l’original qu’il a suivi ne peut guère être regardé que comme une pensée ou une esquisse qui lui laisse à lui-même le mérite de l’originalité.

Voici la description du morceau antique qu’on lit dans le Voyage d’un François en Italie, tome IV. « Il y a dans un portique ouvert de la ville Médicis, du côté du jardin, une matrône qui a été copiée par le Gros. L’attitude de cette figure est belle, ainsi que l’ordonnance de sa draperie : mais l’exécution en est sèche, les plis en sont égaux, sans variété ; le caractère de la tête en est dur, & sans aucun agrément, quoique en grand ; les cheveux droits & secs ; les pieds en sont chaussés à sandales dans lesquelles il y a un bas. » On peut voir dans les jardins de Sceaux, une copie exacte de cette antique, & l’on reconnoîtra combien elle a gagné dans l’imitation du statuaire moderne. Cette imitation « devient originale, dit Dandré


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