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aux intérêts de la Russie ; il prit en aversion les régimens des gardes, qui avoient toujours servi fidelement ses illustres prédécesseurs ; il fit des innovations qui, loin d’exciter les troupes à verser leur sang pour la religion & la patrie, n’ont servi qu’à les décourager. Il changea entiérement la face de l’armée ; il sembloit même qu’en la partageant en un si grand nombre de corps, & en donnant aux troupes tant d’uniformes divers, la plupart bisarres, il voulût faire douter les soldats s’ils appartenoient effectivement à un seul maître, & les porter à s’entre-tuer dans la chaleur du combat. Comme il s’occupoit chaque jour de nouveaux arrangemens aussi pernicieux, il éloigna enfin tellement les cœurs de ses sujets de la fidélité & de la soumission, que chacun d’eux le blâma hautement sans aucune crainte, & fut prêt d’attenter à sa vie. Mais la loi de Dieu, qui prescrit de respecter le pouvoir souverain, gravée profondément dans le cœur de nos fideles sujets, les retenoit ; ils attendoient que la main de Dieu même le frappât, & délivrât la Russie.

« Dans les circonstances que nous venons d’exposer aux yeux du public impartial, il nous étoit difficile de ne pas avoir l’ame troublée du péril imminent qui menaçoit la patrie, & de la persécution que nous souffrions avec notre très-cher fils, l’héritier du trône de Russie : tous ceux qui avoient du zèle pour nous, ou plutôt assez de courage pour le manifester, (car nous n’avons trouvé personne qui ne nous voulût du bien, & qui ne nous fût dévoué) couroient risque de la vie, ou du moins de la fortune, en nous rendant les hommages qui nous étoient dûs, comme à leur impératrice. Les efforts qu’il employoit pour nous perdre, augmentèrent au point qu’ils éclatèrent dans le public ; & nous accusant alors des murmures qu’ils excitoient généralement, & dont lui seul cependant étoit la cause, il ne cacha plus son dessein de nous ôter la vie. Avertis par quelques-uns des plus affidés de nos sujets, & qui étoient résolus, ou à délivrer la patrie, ou à se sacrifier pour elle, nous mîmes notre confiance en Dieu, & nous nous exposâmes au danger avec toute la magnanimité que la patrie avoit lieu d’attendre de nous. Après avoir invoqué le Très-haut, nous résolûmes pareillement de nous immoler pour la patrie, ou de la sauver des troubles & du carnage. Armés du bras du Seigneur, à peine eûmes-nous déclaré notre consentement à ceux qui nous étoient envoyés de la part de la nation, que tous les ordres de l’état s’empressèrent à nous donner des preuves de leur fidélité & de leur soumission, & nous en prêtèrent le serment avec les démonstrations de la plus vive joie.

Notre humanité & nôtre affection pour nos fidèles sujets nous faisoient un devoir de prévenir le carnage qu’on avoit à redouter, si le ci-devant empereur, mettant son espoir dans la force imaginaire de ses troupes de Holstein, (pour l’amour desquelles il résidoit alors à Oranyabaum, vivant dans une parfaite oisiveté, & abandonnant le gouvernement & les affaires les plus pressantes) eût voulu employer la force des armes ; car nos gardes & les autres régimens étoient prêts à s’exposer pour la religion & la patrie, pour nous & notre successeur. Nous prîmes sur cela les arrangemens les plus prompts & les plus convenables. Nous mettant donc à la tête des gardes, du corps d’artillerie & des autres troupes qui se trouvoient à Pétersbourg, nous allâmes déconcerter ses desseins, dont nous étions déjà informés en partie.

« Mais à peine étions-nous sortis de la ville, qu’il nous envoya deux lettres l’une après l’autre ; la première par notre vice-chancelier le prince Galitzin, dans laquelle il demandoit qu’on le laissât retourner au pays de Holstein sa patrie ; & l’autre par le major-général Ismaïloff : il déclaroit, de son propre mouvement dans celle-ci, qu’il abandonnoit la couronne, & ne souhaitoit plus de régner sur la Russie, il nous prioit de nouveau de le laisser partir pour le Holstein avec Elisabeth Woronzoff & Goudowitch. Ces deux lettres, remplies de flatteries, nous furent envoyées quelques heures après qu’il eut donné ordre de nous tuer, comme cela nous a été rapporté par ceux mêmes qu’il avoit chargés de cet attentat.

Cependant il lui restoit encore un moyen de s’armer contre nous avec les troupes de Holstein, & quelques autres petits détachemens qui se trouvoient auprès de lui. Il auroit même pu nous forcer à lui accorder plusieurs conditions préjudiciables à la patrie ; car il avoit entre ses mains un grand nombre de personnes de distinction de nôtre cour, de l’un & de l’autre sexe ; & dès qu’il eut appris les premiers mouvemens d’un peuple justement irrité, il les garda comme ôtages au palais d’Oranyabaum. Notre humanité n’auroit jamais consenti à leur perte, & pour les sauver nous aurions signé avec lui toute espèce d’accommodement. Toutes les personnes de distinction entre nos fidèles sujets, qui étoient alors auprès de nous, nous supplièrent de lui mander que si son intention étoit réellement telle qu’il l’avoit déclarée dans ses lettres, il nous donnât pour la tranquillité publique une renonciation volontaire & formelle au trône de Russie, écrite de sa main. Nous lui envoyâmes ce billet par le même major-général Ismaloff, & voici l’acte de renonciation qu’il nous fit remettre ».

« Durant la courte durée de mon règne sur l’empire de Russie, j’ai reconnu que mes forces ne suffisent pas pour un tel fardeau, & qu’il est au-dessus de