Page:Encyclopédie méthodique - Economie politique, T01.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poussé plus loin ses conquêtes, si les étoliens n’eussent demandé la paix. Philippe, que la paix devoit rendre moins puissant, désiroit continuer la guerre ; mais les alliés ne pouvoient plus en soutenir le poids ; Chios, Rhodes & Byzance se joignirent aux achéens pour le faire consentir à mettre bas les armes : la paix fut conclue, & chaque parti garda les places dont il étoit en possession.

L’ivresse de la fortune égara la raison de Philippe ; il s’érigea en tyran de ses alliés. Aratus eut le courage de dire à Philippe que si la Gréce avoit besoin de lui, il avoit également besoin d’elle pour assurer sa grandeur, & que s’il persévéroit à la traiter comme un pays de conquête, elle chargerait les barbares de sa vengeance. On aigrit les tyrans, quand on leur démontre leurs torts : Philippe ne vit plus dans Aratus qu’un censeur importun, & il le fit empoisonner. Les achéens & les sycioniens se disputèrent la gloire de lui ériger un tombeau.

Philippe se livra à toute la fureur des tyrans : cruel dans la victoire, il réduisoit les villes en cendres avec leurs habitans ; il profanoit & détruisoit les temples ; il renversoit les statues des dieux & des bienfaiteurs de la patrie. Les villes qui lui ouvroient leurs portes, n’étoient pas plus épargnées que celles qu’il prenoit d’assaut ; il traitoit également ses ennemis & ses alliés. Il assiégea par terre & par mer Abydos, ville située sur l’Hélespont, aujourd’hui les Dardanelles. Les habitans voyant qu’on travailloit à miner leurs murailles, demandent à capituler. L’inexorable Philippe ne veut les recevoir qu’à discrétion, & ils refusent de souscrire à l’arrêt de leur mort, en se soumettant à un vainqueur qui ne savoit pas pardonner. Ils conviennent entr’eux que, dès que les assiégeans auront gagné l’intérieur de la place, cinquante citoyens les plus anciens égorgeront les femmes & les enfans de la ville dans le temple de Diane ; qu’on consumera par les flammes les effets publics, & qu’on jettera dans la mer tout l’or & tout l’argent. Après s’être engagés par serment à ce barbare sacrifice, ils s’arment & montent sur la brèche, résolus de s’ensevelir sous ses ruines ; & tandis qu’ils combattent avec cette intrépidité qu’inspire le désespoir, deux citoyens parjures livrent Abydos à Philippe. Les habitans égorgent eux-mêmes leurs femmes & leurs enfans ; Philippe veut en vain arrêter ce carnage ; tous se tuent aux yeux du vainqueur.

Le désastre de cette ville souleva toute la Gréce. Les achéens, honteux d’avoir Philippe pour allié, renoncèrent à son alliance ; ils s’unirent aux étoliens & aux athéniens, pour délivrer leur commune patrie de ce fléau de l’humanité : mais, trop foibles pour lui résister, ils implorèrent le secours des romains, qui ne manquèrent pas une si belle occasion de déployer leur politique ambitieuse. Philippe, sans amis & sans alliés, fut accablé par tant d’ennemis & vaincu dans la Thessalie ; il fut obligé de souscrire aux conditions que lui imposa le vainqueur. Le général romain se rendit aux jeux isthmiques, & il y publia le traité de paix : il déclara libres toutes les villes de la Gréce, il les autorisa à se gouverner par leurs loix & leurs usages.

Les grecs prièrent le hérault de répéter l’article qui les déclaroit libres, & l’assemblée retentit d’applaudissemens. Toujours extrêmes, ils firent éclater des transports de joie, qui ressembloient plus à un accès d’ivresse qu’à un mouvement de reconnoissance envers le général romain : chacun s’empressoit de lui baiser la main & de le couronner de fleurs. On ne pouvoit concevoir qu’il y eût un peuple assez généreux pour traverser les mers, pour entreprendre une guerre & sacrifier ses richesses, sans autre motif que de rendre la liberté à des nations asservies. La même proclamation fut faite aux jeux néméens ; la justice fut réformée dans toutes les villes ; les bannis furent rappellés. Cette politique bienfaisante étendit la gloire des romains ; ils traitèrent même avec modération, Nabis, tyran de Lacédémone, & les étoliens : mais Rome avoit pour systême de laisser leurs vices aux peuples qu’elle vouloit asservir ; & dans le temps qu’elle donnoit à chaque ville sa liberté, elle leur défendoit de se liguer entr’elles, afin que l’intérêt les divisât, & qu’elle pût se servir des unes pour faire la loi aux autres : enrichie des dépouilles de Carthage, elle ne tarda pas à acheter des traîtres qui vendirent leur patrie. Sous le titre de protectrice de la Gréce, elle prononça sur tous les différens d’une manière absolue. Les achéens conservoient une ombre de liberté ; elle craignit qu’en les laissant plus long-temps jouir de leurs privilèges, ils ne fissent souvenir la Gréce de son ancienne indèpendance ; comme c’étoit le seul peuple à qui il restât des vertus, il parut suspect.

Les achéens virent trop tard que, pour se venger d’un ennemi, ils s’étoient donné un maître. Persée, monté sur le trône de Macédoine, donna aux grecs l’espérance de rétablir leur antique gloire ; mais ce prince, assez ambitieux pour former de grands projets, & trop foible pour les exécuter, servit d’ornement au triomphe de Paul-Émile. La Macédoine, souveraine autrefois de l’Asie, fut réduite en province romaine ; & ses habitans dispersés firent craindre aux grecs une pareille destinée, s’ils osoient réclamer leurs droits.

Les achéens, seuls libres & vertueux, voulurent faire la guerre aux spartiates, oppresseurs de leurs alliés ; Rome leur ordonna de mettre bas les armes, & de ne plus troubler la tranquillité de la Gréce ; cet ordre attentoit à leur indépendance ; aigris par les clameurs séditieuses de Diéus & de Critolaüs, ils oublièrent leur foiblesse, & ne songèrent qu’à défendre leurs