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ces départemens ou colleges en bureaux ou secrétaireries. Chaque branche doit avoir ses bornes fixes ; de maniere que tous les départemens soient dans une harmonie perpétuelle, sans qu’aucun d’eux puisse empiéter sur les droits & les privilèges des autres, ou s’arroger leurs fonctions. Le véritable homme d’état, qui fait établir le gouvernement sur la base inébranlable de l’ordre, a soin d’entretenir cette harmonie, & d’empêcher qu’on ne confonde ces bornes.

Toutes les affaires des gouvernemens les plus vastes & les plus compliquées, peuvent se réduire à huit chefs qui sont : I. l’administration de la justice ; II. les affaires ecclésiastiques ; III. les affaires étrangères ; IV. la guerre ; V. les finances ; VI. le commerce ; VII. la marine ; VIII. la police. Delà résultent huit grands départemens sous la direction d’un ministre, secrétaire d’état, président ou directeur de college : car le nom est indifférent.

Un auteur, Italien, Donato qui a composé un traité de l’homme d’état, les réduits à cinq chefs, qui sont la justice criminelle, la justice civile, la partie économique, le militaire & la politique. Cette division paroît mal-faite ; d’abord, il faut y ajouter un sixième département pour ce qui concerne la religion & les affaires ecclésiastiques ; objet très-essentiel, sur-tout dans les états catholiques ; ensuite il convient de réunir la justice criminelle & la justice civile. Du reste, c’est le nombre des affaires qui doit regler celui des départemens.

Dans les petites souverainetés, il n’y a pas tant de colleges supérieurs ou départemens. Trois ou quatre suffisent. Un plus grand nombre retarderoit l’expédition, au lieu de l’accélerer ; elles ont besoin sur-tout d’un college supérieur pour l’administration de la justice, d’un college de régence pour les affaires générales de l’état, d’un tribunal pour les affaires ecclésiastiques, & d’une chambre des finances. Il y en a même où l’administration n’est pas aussi étendue. Mais les petits états veulent toujours imiter les grands ; & plusieurs d’entr’eux ne manquent pas de diviser leurs troupes en autant de corps que les armées des plus grandes puissances. On retrouve la même vanité dans le département civil, & l’on ne peut s’empêcher de rire en voyant dans les almanachs de ces cours, la liste des différens conseils d’un souverain qui n’auroit besoin, comme ses prédécesseurs, que d’un conseiller, d’un bailli & d’un receveur des revenus. Un état composé d’une très-petite ville, & de quatre ou cinq villages, a sa chancellerie de régence, son consistoire, sa chambre des finances, son maréchal de la cour, son grand forêtier, son surintendant des bâtimens, ses ministres de police, &c. M. de Moser,[1] qui a bien étudié cette matiere, fait là-dessus plusieurs observations intérressantes auxquelles nous renvoyons le lecteur.

Lorsque les bornes de chaque département & de ses divisions sont bien déterminées, les affaires s’arrangent pour ainsi dire d’elles-mêmes sous la main de celui qui en est chargé ; on sait à qui l’on doit s’adresser ; le souverain sait lui-même à qui s’en prendre, s’il y a de la malversation. Ainsi l’ordre fait marcher d’un mouvement doux & uniforme, la machine du gouvernement.

Le défaut de méthode embrouille l’administration la plus simple. « Je connois, dit l’auteur que je viens de citer, une chambre des finances, où toutes les affaires sont dans le plus grand désordre. Aucun des huit ou dix membres dont elle est composée, n’a de département fixe. Ils se distribuent le travail au hasard, & comme ils le jugent à propos. Tel a fait aujourd’hui son rapport dans les affaires forêtieres, qui se charge demain de ce qui concerne les bâtimens & celui qui ne devroit s’occuper que de l’économie rurale, s’attribue la revision des comptes. L’un ne sait pas plus que l’autre ce qui intéresse l’état, & il n’y en a pas un seul qui soit instruit sur une partie des finances. Ils n’ont d’autre regle que la routine. C’est en suivant cette routine qu’ils donnent leur voix, qu’ils calculent, qu’ils empruntent toujours, ne payent jamais, & plongent le prince & ses sujets dans la misère. » Qu’on mette de l’ordre dans les départemens, & chacun étudiera ce qui le regarde. Cette confusion excite à la paresse. Le mieux intentionné n’ose s’attacher à une partie, parce qu’un autre pourroit se l’attribuer. S’il y a une affaire pénible, embrouillée, délicate, chacun s’excuse, on en parle dix fois, & personne ne veut s’en charger.

J’ai quelquefois entendu blâmer, continue M. Moser, la multitude des départemens qu’il y a en Prusse. Elle est excessive, dit-on ; elle entraîne une augmentation superflue d’affaires, d’actes, & d’employés. Ceux qui parlent ainsi ne font pas attention que de tous les gouvernemens, le systême prussien est à cet égard celui où il y a le plus d’ordre, le plus d’exactitude & le plus de célérité dans l’expédition. De si grands avantages compensent de légers inconvéniens.

L’homme d’état sensible à la foiblesse humaine, considérant combien les habiles gens sont rares, combien les passions, les gouts, les intérêts de famille, le soin de sa propre santé, & la variété des rapports que les hommes ont dans la société, leur causent de distraction, combien ils s’attachent peu aux affaires d’autrui, craindra toujours de les surcharger ; il croira rendre un service essentiel au public en divisant & subdivisant les départemens. Il sait qu’en réduisant l’administration à ses moindres termes, il la rendra plus aisée, plus expédi-

  1. Voyez le Livre allemand intitulé : le maître & le serviteur, ou traité des affaires.